2/25/2015

Cobayes – Anita, par Marilou Addison


Cobayes est une série de sept romans écrits par autant d’auteurs différents. Les personnages de chaque livre participent à la même étude clinique, avec, pour chacun, des effets secondaires différents.

Anita est obsédée par son poids. Fervente boulimique, elle multiplie les astuces pour perdre les quelques livres qui la séparent de son objectif, malgré l’inquiétude de sa famille et de Manu, son copain. Alors qu’elle lui promet de consulter un psychologue pour gérer son trouble de comportement alimentaire, elle décide plutôt de participer à une mystérieuse étude clinique de la compagnie AlphaLab, puisqu’un des effets secondaires possibles est une perte de poids. Les injections qu’elle reçoit ne modifient pas sa taille, mais affectent radicalement sa personnalité et son comportement. Chaque inoculation la rend plus agressive, mais aussi plus affamée...

Avant de parler du roman de Marilou Addison, quelques mots sur la série. D’abord, si le concept général, à savoir sept romans qui partagent la même chronologie et dont les personnages se croisent, me paraît intrigant, je ne suis pas encore convaincu de la richesse de l’effet littéraire qui en résulte. Évidemment, peut-être que ça deviendra plus intéressant après quelques livres, lorsque je pourrai commencer à comprendre ce que signifient les clins d’œil et les allusions qui traversent le roman. Mais pour l’instant, j’ai l’impression qu’on me raconte des anecdotes plutôt impertinentes à propos de personnes que je ne connais pas. Et j’avoue être vaguement inquiet de la façon dont les auteurs vont boucler la boucle, au final. En effet, on peut lire, dans les dernières pages du roman, qu’un chapitre final sera disponible sur le site de l’éditeur après la parution du septième et dernier tome de la série. C’est très bien, très original, mais... Un chapitre, c’est bien peu, pour conclure sept romans. Mais bon, on verra, comme dit le mari de l’autre.

Cela dit, comme les romans de Cobayes sont faits pour être appréciés indépendamment, le reste de ma critique ne portera plus sur la dimension intertextuelle de la série.

Marilou Addison livre avec Anita un roman gore (mais pas trop... ou pas assez?) qui suit la descente aux enfers du personnage éponyme, alors que les effets de la drogue qu’elle reçoit d’AlphaLab la poussent dans des situations extrêmes. Le concept est intéressant, le contraste entre Anita au début du récit et ce qu’elle devient à la fin est saisissant, mais j’ai senti, en fermant le livre, que forcément, quelque part, des occasions avaient été manquées. Oui, il y a des meurtres, du sang à profusion, du cannibalisme même, mais... Il manque un petit quelque chose pour que ça devienne véritablement de l’horreur, pour que le récit d’Anita prenne une dimension un peu plus dramatique. À mon avis, un des problèmes du roman est que le personnage n’est jamais (pas une seule fois!) confronté aux conséquences de ses actes. Anita commet ses meurtres lors d’épisodes psychotiques dont elle ne conserve aucun souvenir. Elle n’a pas conscience de la sinistre provenance de la viande qu’elle consomme à la fin du récit. Quand la situation d’Anita atteint un paroxysme et que les événements deviennent vraiment intenses, le récit se termine sur l’effondrement mental de la protagoniste. On dirait que plutôt que d’essayer de représenter l’horreur de la situation de manière évocatrice, le roman jette l’éponge exactement au moment où l’histoire devenait intéressante. C’est plutôt frustrant.

Sinon, les quelques passages de violence et de gore sont globalement bien conçus et bien rendus, même s’il y a quelques ratés en raison d’un vocabulaire approximatif. Par exemple, l’utilisation du terme « gorgoton » lors d’un épisode de dévoration phallique confère une dimension absurde, voire comique, à une scène se voulant sérieuse et dramatique. Ça ne fonctionne pas, mais pas du tout.

Cela m’amène à parler de la plume de l’auteure, qui se caractérise par un ton juvénile et une surenchère de la ponctuation (« ?!? »), ce qui provoque un effet de dissonance par rapport au sujet résolument sombre du roman. Disons simplement que c’est un choix esthétique qui me semble peu judicieux.

C’est dans la description de l’évolution de l’état mental d’Anita que le roman réussit le mieux. Fait intéressant, le personnage est antipathique, mesquin et menteur dès le début de l’histoire : ce n’est pas l’effet secondaire de quelque produit chimique qui la rend désagréable, c’est sa véritable personnalité. Le roman établit cela très tôt et de manière tout à fait crédible. Par la suite, les déboires d’Anita la rendent un peu plus sympathique, par la dimension pathétique de son histoire.

Au final, Anita est un roman qui, bien qu’intéressant, comporte de sérieux défauts et ne me semble pas exploiter son plein potentiel.


Critique parue dans Brins d'éternité 40

2/18/2015

Clair/Obscur #12 - Spécial Gore (2014)

Le douzième numéro de la revue Clair/Obscur amène beaucoup de changements : remaniement complet de l’équipe éditoriale, pour commencer. François-Bernard Tremblay, le fondateur, lègue le projet à Anne-Marie Bouthillier, qui a su s’entourer d’une bonne brochette de collaborateurs.

Modification importante au niveau de la ligne éditoriale de la revue, aussi : C/O délaisse le noir et le policier pour se spécialiser dans l’horreur. C’est un peu dommage, du fait qu’il n’y a plus de pendant à Alibis pour la relève québécoise. Cela dit, je ne blâme pas la nouvelle équipe : c’est clairement l’horreur qui les intéresse. Leur enthousiasme est manifeste, et il se dégage une belle énergie de leur premier numéro.

Autre fait notable : il s’agit d’un très gros numéro, atteignant les 100 pages. Pour comparaison, le précédent en comptait 61. C’est donc une offrande très généreuse que nous proposent Anne-Marie Bouthillier et son équipe.


Après l’éditorial (qui est dans une police différente du reste de la revue, et qui s’avère pour cette raison un peu difficile à lire), on a droit à une « Ligne du temps sanglante », qui présente des faits gores historiques et culturels à travers les âges. C’est très intéressant, mais il me semble que le concept manque un peu de direction. Par exemple, on passe de 105 avant J.-C. à 1792. Vraiment? Il n’y a rien qui soit digne de mention entre ces deux dates? Le concept serait, à mon sens, plus intéressant comme chronique récurrente, présentant chaque fois une ligne du temps plus petite, mais aussi plus complète et fouillée. Une ligne du temps sanglante de l’Antiquité, des Loups-garou, du Nouveau-Monde, etc.

On passe ensuite à un intéressant Top 5 des romans québécois les plus sanglants. Puis à un très long (mais excellent) essai de Pierre-Alexandre Bonin sur l’horreur dans la littérature jeunesse. La seule critique que j’aurais à faire, c’est que l’essai n’est pas présenté comme tel. Il serait intéressant d’avoir un repère visuel plus fort pour distinguer les nouvelles des articles. L’équipe éditoriale a décidé de ne pas suivre la formule « fictions d’abord, articles et essais ensuite »; c’est bien, c’est différent, c’est intéressant. Mais ça demande un effort de mise en page supplémentaire, pour faciliter la lecture.

L’essai est suivi d’un (trop?) court vox-pop sur la place de l’horreur dans la littérature jeunesse. C’est très pertinent, les auteurs interrogés apportent des réponses compétentes et variées. Mais il n’est pas clair à qui on doit attribuer la préparation du vox-pop.

Puis vient la section des fictions, qui s’ouvre avec ma nouvelle préférée du numéro, Machette Party, de Frédéric Raymond. Le texte raconte l’histoire de quatre gars qui s’organisent une petite soirée de film d’horreur. Un des personnages développe une fascination malsaine à propos d'une machette nouvellement acquise par le narrateur. La suite, bien que prévisible, est tout à fait festive, comme le promettait le titre. J’ai apprécié les références aux films d’horreur et le concept fantastique simple, mais efficace, qui sous-tend la nouvelle.

Les fictions se poursuivent avec « Izoloirs » de Alfred Bacon. Je vais avouer dès maintenant que je n’ai pas vraiment embarqué dans ce récit qui se veut déconstruit et novateur, mais qui s’avère plutôt éparpillé et quelque peu longuet. La nouvelle suit d’abord un groupe de jeunes dans un bar de danseuses. Puis on a droit à un flash-back (réussi. C’est le meilleur passage du texte, à mon avis) où on apprend qu’un de ces jeunes hommes possède une sorte de pouvoir qu'on pourrait décrire comme du sadisme psychique et qui se déclenche dès qu’il voit un sexe féminin. Le récit saute ensuite à scène de soft porn entre un client inconnu et une danseuse extra-terrestre. Pourquoi? Parce que, voilà pourquoi. Finalement, la nouvelle se termine dans un autre isoloir, avec le meurtre d’une autre danseuse par l’homme du flash-back. Même si le texte présente des éléments intéressants, il n’y a rien qui permet de les unifier dans un tout cohérent. À part une vague thématique sexuelle et le fait que la majorité des récits se produisent dans le même lieu. Ce n’est pas assez.

Michel Gingras propose « La chasse », une nouvelle d’horreur extrêmement classique, limite clichée, mais correctement construite. Deux gars vont dans un bar pour y faire « la chasse aux femmes ». Dans un retournement parfaitement prévisible, les chasseurs deviendront chassés. Ce qui rachète la nouvelle, selon moi, c’est les personnalités vraiment « jambon » des protagonistes, qui se croient vraiment irrésistibles alors qu’ils sont plutôt risibles avec leur attitude vaguement macho.

L’honneur de clore la section des fictions revient à Keven Girard, avec « Disséquer au besoin », une nouvelle bien écrite, mais qui repose malheureusement sur une chute vraiment décevante. Le genre de chute qui remet tout le reste du récit en perspective. Le problème avec ce genre de procédé, c’est que comme la nouvelle doit garder l’information de la chute secrète jusqu’à la fin, ça donne une narration inutilement alambiquée et floue, qui ne se donne pas suffisamment de liberté pour développer un personnage principal crédible, ou un récit cohérent, ou une intrigue qui attise l’intérêt. Je crois tout de même que l’auteur a un réel potentiel pour l’horreur, et j’espère qu’il en commettra à nouveau.

Le reste du numéro est majoritairement composé de plusieurs courts articles. Outre les critiques de livres, on trouve « Dans la bibliothèque de Frédérick Durand » (un entretien réalisé par Martine Vignola), « Horrovision » (une chronique de Jonathan Reynolds qui nous présente l’œuvre cinématographique du réalisateur Ti West), « Arts visuels » (une chronique d’Émilie Léger, sur H.R. Giger), une présentation du groupe québécois Jardin Mécanique (par Éric Richard) et une chronique jeux vidéos sur la mécanique du démembrement dans Dead Space (par Guillaume Couture). Quand je parlais d’offrande généreuse, plus haut…

Le numéro se termine sur une courte BD de trois pages, par Simon Morin, qui semble être le début d’une série portant sur les mythes urbains. J’ai vraiment aimé, j’espère que les prochaines seront du même calibre.

Voilà donc pour ce numéro de Clair/Obscur, nouvelle mouture. Je souhaite beaucoup de succès à la jeune équipe, et longue vie à l’horreur québécoise!


Critique parue dans Brins d'éternité 40

2/11/2015

Faire revivre des textes de la SFFQ (avec Linux!)

On trouve, au sommaire du dernier numéro de Brins d'éternité, une réédition de l'excellente nouvelle Cheveux à l'huile d'Esther Rochon. Je suis vraiment content qu'on puisse donner un second souffle à des textes de qualité comme celui-là, surtout que le processus éditorial qui nous a permis de publier cette nouvelle a été inhabituellement geek. Je vous explique.

Brins d'éternité n'accepte que des soumissions numériques. La sélection, la direction littéraire, la correction, tout se fait directement sur ordinateur. Quand vient le temps de faire le montage, c'est une question de copier le texte d'une fenêtre à une autre. Bon, j'ai l'air de dénigrer la job du montage graphique, mais vraiment pas. C'est juste que, bon, avoir le texte numérisé, c'est, disons, un acquis, à cette étape.

Or, voilà, dans le cas de la nouvelle d'Esther, il n'y avait pas de numérique, l'auteure n'ayant pas conservé le fichier. Et comme on parle d'un texte vieux de plus de 15 ans, ça aurait peut-être été la galère à ouvrir de toute façon.

Tout n'était pas perdu, cependant: la nouvelle avait déjà été publiée dans imagine... 80, et Ariane avait accès à un exemplaire de ce numéro.

La nouvelle faisait dix pages. La retaper à la mitaine aurait été une tâche pénible, ardue, et aurait été une source d'erreur beaucoup trop grande. J'ai donc décidé de donner une chance à la reconnaissance optique de caractères (ou optical character recognition : OCR). Après un peu de recherche, je suis tombé sur tesseract, et j'ai été agréablement surpris par l'efficacité du machin. Avec un scan de la meilleure qualité possible (1200 dpi pour mon numériseur), le produit final présentait peu d'imperfections. La plupart des scories étaient en fait explicables par des taches sur le papier de la revue, en fait. Bon, il y avait bien quelques passages où tesseract se plantait solide, et sans raison apparente, mais sinon? Vraiment superbe.

Si l'OCR m'a sauvé des efforts et de la frustration, cela dit, je ne sais pas à quel point ça m'a sauvé du temps. Pour 10 pages, ça m'a pris une bonne heure et demie, si ce n'est pas deux heures. Le temps de bien placer la revue dans le numériseur, de laisser le scan prendre quelques millénaires, puis de se rendre compte qu'un coin est un peu smudgé parce qu'on a bougé légèrement pendant le processus, recommencer... Vous voyez le genre. De plus, il a fallu faire plusieurs relectures très attentives du texte, pour s'assurer qu'il ne restait pas de coquilles (ça aurait probablement été la même chose si quelqu'un avait du retaper le texte, j'imagine, mais bon).

Donc, ouais, c'était bien comme expérience, mais pas trop souvent. Gardez précieusement vos fichiers de textes littéraires, les amis. Pensez à ces pauvres futurs éditeurs et faites des backups.

2/04/2015

Dans les enveloppes

C'est pas mal la même histoire après chaque lancement: j'en ai pour quelques jours à gérer les envois des exemplaires. Si mon horaire me le permettait, je ferais tout ça d'un coup, mais bon, ce n'est pas le cas, alors c'est un peu chaque soir.

Le gros du travail est fait. Si tout va bien, ça devrait être envoyé d'ici la fin de la semaine.