4/16/2014

Vivre avec le refus

Je sais, comme auteur, qu'il est difficile de se faire refuser un texte. Je suis passé par là. Je vais repasser par là. C'est un fait assez connu: essuyer un refus, ce n'est pas toujours drôle. On a mis des efforts là-dedans (idéalement), du temps (un minimum, même quand c'est botché), du sang et de la sueur (mais pas mal moins depuis l'avènement du numérique, fort heureusement), alors c'est immanquable, quelque part, on se sent un peu trahi.

Ce qu'on sait moins, c'est que ce n'est pas particulièrement jojo pour l'éditeur/rédacteur/directeur littéraire non plus. Bon, je sais, vous allez me dire que son égo n'est pas en jeu, qu'il ne se dévoile pas autant que l'auteur, qu'il a souvent même un comité de lecture qu'il peut brandir comme un bouclier, par paresse ou convenance. Certes, certes. Mais quand même, c'est une opération délicate que d'informer quelqu'un que son texte ne sera pas retenu. Surtout si, comme chez Brins d'éternité (et d'autres revues, évidemment, mais je parle seulement de mon expérience), on tient à donner un rapport le plus complet possible.

Il y a des façons de dire certaines choses, évidemment. Les termes péjoratifs sont à éviter (on ne veut pas insulter l'auteur qui ne maîtrise pas sa grammaire et sa syntaxe en le traitant d'illettré, mais on l'invite à revoir son écriture, qui nuit à la compréhension du récit), et les préférences personnelles sont à évacuer autant que possible (Oh, super, une autre prophétie dans une copie des Royaumes Oubliés. Je trépide d'impatience de lire la suite qui, je le sais, va tellement me surprendre). Même si un texte forme un tout cohérent (encore là, idéalement), on peut isoler ses parties (style, personnages, histoire, concepts fantastiques/SF, voix narrative, alouette) pour faire ressortir ce qui ne fonctionne pas, ou encore ce qui marche (ce qui est aussi important). Tout ça, évidemment, sans prétendre détenir la vérité absolue. Parce que, ben, c'est ça.

Selon mon expérience et mon point de vue, les auteurs réagissent typiquement au refus par l'une de ces trois façons :

1) En silence. Bon, peut-être qu'ils hurlent et pleurent dans leur bureau, mais dans le mien, via ma boîte de courriels, ça reste calme, aucune nouvelle, rien. C'est la situation la plus fréquente. Ça ne veut pas dire que l'auteur ne soumettra pas d'autres textes plus tard (textes qui, parfois, seront publiés). Mais même là, souvent, pas un mot sur le refus.

2) En écrivant une lettre de remerciement. Le degré d'enthousiasme varie, évidemment (et en ce moment, j'en viens à me demander si, pour certaines, je n'aurais tout simplement pas compris le sarcasme), mais en gros, l'auteur remercie l'éditeur/rédacteur/directeur littéraire pour les commentaires sur son texte. Ce n'est pas nécessaire, mais c'est toujours bien de voir que les efforts déployés pour fournir des réponses personnalisées pour chaque soumission sont appréciés.

3) En chialant. Et souvent, ceux-là n'y vont pas à moitié. On n'a pas compris son texte, manifestement, on n'a pas LU, parce que hein, sinon!; on l'accuse (rien de moins) de sombrer dans le cliché (mais il nous informe que tout ce que le lecteur veut, c'est passer du bon temps, alors l'originalité on peut bien se la mettre où il pense); ou à l'inverse, son style et ses idées sont probablement beaucoup trop évolués pour nous, primates dégénérés à qui il faisait une fleur d'offrir son nom (autrement inconnu). [On comprendra que je me moque ici gentiment d'une attitude, sans viser quiconque. Quoique ce qui précède a fortement été inspiré de quelques messages que j'ai vraiment reçus.] Heureusement, ça ne se produit qu'à l'occasion. Et, en prime, ces auteurs ne soumettent généralement qu'une fois.

On se doute bien du type de réaction que je préfère, en tant qu'éditeur/rédacteur/directeur littéraire.

6 commentaires:

  1. Des fois je me dis que les directeurs littéraires devraient rassembler les pires textes et les réactions des auteurs et les publier. Je sais que c'est impossible (droits d'auteur, etc), mais, bâtard, me semble que ça vous ferait du bien et qu'il y en a qui mériteraient l'humiliation!

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    1. Ou alors, on peut toujours me payer une bière, hein ;)

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    2. Héhé, on se partage les frais de la bière, Gen, moi aussi, je veux entendre ça... lol

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  2. Merci pour ce billet! Cocasse malgré la délicatesse du sujet. ;)

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