2/18/2015

Clair/Obscur #12 - Spécial Gore (2014)

Le douzième numéro de la revue Clair/Obscur amène beaucoup de changements : remaniement complet de l’équipe éditoriale, pour commencer. François-Bernard Tremblay, le fondateur, lègue le projet à Anne-Marie Bouthillier, qui a su s’entourer d’une bonne brochette de collaborateurs.

Modification importante au niveau de la ligne éditoriale de la revue, aussi : C/O délaisse le noir et le policier pour se spécialiser dans l’horreur. C’est un peu dommage, du fait qu’il n’y a plus de pendant à Alibis pour la relève québécoise. Cela dit, je ne blâme pas la nouvelle équipe : c’est clairement l’horreur qui les intéresse. Leur enthousiasme est manifeste, et il se dégage une belle énergie de leur premier numéro.

Autre fait notable : il s’agit d’un très gros numéro, atteignant les 100 pages. Pour comparaison, le précédent en comptait 61. C’est donc une offrande très généreuse que nous proposent Anne-Marie Bouthillier et son équipe.


Après l’éditorial (qui est dans une police différente du reste de la revue, et qui s’avère pour cette raison un peu difficile à lire), on a droit à une « Ligne du temps sanglante », qui présente des faits gores historiques et culturels à travers les âges. C’est très intéressant, mais il me semble que le concept manque un peu de direction. Par exemple, on passe de 105 avant J.-C. à 1792. Vraiment? Il n’y a rien qui soit digne de mention entre ces deux dates? Le concept serait, à mon sens, plus intéressant comme chronique récurrente, présentant chaque fois une ligne du temps plus petite, mais aussi plus complète et fouillée. Une ligne du temps sanglante de l’Antiquité, des Loups-garou, du Nouveau-Monde, etc.

On passe ensuite à un intéressant Top 5 des romans québécois les plus sanglants. Puis à un très long (mais excellent) essai de Pierre-Alexandre Bonin sur l’horreur dans la littérature jeunesse. La seule critique que j’aurais à faire, c’est que l’essai n’est pas présenté comme tel. Il serait intéressant d’avoir un repère visuel plus fort pour distinguer les nouvelles des articles. L’équipe éditoriale a décidé de ne pas suivre la formule « fictions d’abord, articles et essais ensuite »; c’est bien, c’est différent, c’est intéressant. Mais ça demande un effort de mise en page supplémentaire, pour faciliter la lecture.

L’essai est suivi d’un (trop?) court vox-pop sur la place de l’horreur dans la littérature jeunesse. C’est très pertinent, les auteurs interrogés apportent des réponses compétentes et variées. Mais il n’est pas clair à qui on doit attribuer la préparation du vox-pop.

Puis vient la section des fictions, qui s’ouvre avec ma nouvelle préférée du numéro, Machette Party, de Frédéric Raymond. Le texte raconte l’histoire de quatre gars qui s’organisent une petite soirée de film d’horreur. Un des personnages développe une fascination malsaine à propos d'une machette nouvellement acquise par le narrateur. La suite, bien que prévisible, est tout à fait festive, comme le promettait le titre. J’ai apprécié les références aux films d’horreur et le concept fantastique simple, mais efficace, qui sous-tend la nouvelle.

Les fictions se poursuivent avec « Izoloirs » de Alfred Bacon. Je vais avouer dès maintenant que je n’ai pas vraiment embarqué dans ce récit qui se veut déconstruit et novateur, mais qui s’avère plutôt éparpillé et quelque peu longuet. La nouvelle suit d’abord un groupe de jeunes dans un bar de danseuses. Puis on a droit à un flash-back (réussi. C’est le meilleur passage du texte, à mon avis) où on apprend qu’un de ces jeunes hommes possède une sorte de pouvoir qu'on pourrait décrire comme du sadisme psychique et qui se déclenche dès qu’il voit un sexe féminin. Le récit saute ensuite à scène de soft porn entre un client inconnu et une danseuse extra-terrestre. Pourquoi? Parce que, voilà pourquoi. Finalement, la nouvelle se termine dans un autre isoloir, avec le meurtre d’une autre danseuse par l’homme du flash-back. Même si le texte présente des éléments intéressants, il n’y a rien qui permet de les unifier dans un tout cohérent. À part une vague thématique sexuelle et le fait que la majorité des récits se produisent dans le même lieu. Ce n’est pas assez.

Michel Gingras propose « La chasse », une nouvelle d’horreur extrêmement classique, limite clichée, mais correctement construite. Deux gars vont dans un bar pour y faire « la chasse aux femmes ». Dans un retournement parfaitement prévisible, les chasseurs deviendront chassés. Ce qui rachète la nouvelle, selon moi, c’est les personnalités vraiment « jambon » des protagonistes, qui se croient vraiment irrésistibles alors qu’ils sont plutôt risibles avec leur attitude vaguement macho.

L’honneur de clore la section des fictions revient à Keven Girard, avec « Disséquer au besoin », une nouvelle bien écrite, mais qui repose malheureusement sur une chute vraiment décevante. Le genre de chute qui remet tout le reste du récit en perspective. Le problème avec ce genre de procédé, c’est que comme la nouvelle doit garder l’information de la chute secrète jusqu’à la fin, ça donne une narration inutilement alambiquée et floue, qui ne se donne pas suffisamment de liberté pour développer un personnage principal crédible, ou un récit cohérent, ou une intrigue qui attise l’intérêt. Je crois tout de même que l’auteur a un réel potentiel pour l’horreur, et j’espère qu’il en commettra à nouveau.

Le reste du numéro est majoritairement composé de plusieurs courts articles. Outre les critiques de livres, on trouve « Dans la bibliothèque de Frédérick Durand » (un entretien réalisé par Martine Vignola), « Horrovision » (une chronique de Jonathan Reynolds qui nous présente l’œuvre cinématographique du réalisateur Ti West), « Arts visuels » (une chronique d’Émilie Léger, sur H.R. Giger), une présentation du groupe québécois Jardin Mécanique (par Éric Richard) et une chronique jeux vidéos sur la mécanique du démembrement dans Dead Space (par Guillaume Couture). Quand je parlais d’offrande généreuse, plus haut…

Le numéro se termine sur une courte BD de trois pages, par Simon Morin, qui semble être le début d’une série portant sur les mythes urbains. J’ai vraiment aimé, j’espère que les prochaines seront du même calibre.

Voilà donc pour ce numéro de Clair/Obscur, nouvelle mouture. Je souhaite beaucoup de succès à la jeune équipe, et longue vie à l’horreur québécoise!


Critique parue dans Brins d'éternité 40

6 commentaires:

  1. C'est vrai que c'est dommage qu'il n'y ait pas de fanzine pour "faire ses classes" pour Alibis, mais le policier et le noir n'est pas nécessairement un genre qui se prête aisément à la nouvelle (même pour moi qui suis très polar, c'est plus facile de pondre une nouvelle SFFF, tandis que mes idées policières/noires sont souvent abandonnées en cours de route parce qu'elles se développent en début de roman). Je ne sais pas si on arriverait à remplir régulièrement deux publications.

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    1. J'avoue n'avoir jamais vraiment tenté l'expérience de la nouvelle polar (je devrais, au moins pour le fun), mais j'en ai lu des excellentes, donc je sais que c'est possible ;)

      Je ne crois pas que C/O abandonne ce genre par manque de soumission, mais plutôt par manque d'intérêt, de toute façon.

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    2. Il me semble que François avait dit qu'il n'avait pas énormément de soumission (mais je sais pas s'il parlait de textes publiables ou de textes tout court! ;)

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  2. Merci d'avoir préciser que le fanzine/prozine n'était désormais dédié qu'à l'horreur, parce que je suis un peu demeurée confuse quant à la description qu'on nous laissait sur son site web. Fanzine de l'horreur ET de l'étrange ou fanzine de l'horreur avec l'étrange dans son ventre?

    Merci pour ton billet aussi, ça m'éclaire plus sur ce à quoi j'ai affaire désormais.

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    1. J'ai l'impression que c'est plutôt l'horreur avec de l'étrange dans son ventre, comme tu dis, mais parfois, l'étrange peut sortir du ventre, comme dans Alien ;)

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  3. Ah! Ah! Ah! Tu as ben raison. ;o)

    Pour le « dans son ventre », j'employais l'expression d'un Maître des Mots dont j'ai reçu les enseignements récemment.

    Au plaisir de te lire de nouveau Guillaume.

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