9/16/2015

Le mythe (toxique) de la critique constructive

Daniel Sernine signe, dans le dernier Lurelu (volume 38, numéro 2, automne 2015), un éditorial que je trouve particulièrement intéressant. Il y parle du rôle du critique dans le milieu de l’édition (jeunesse, pour cadrer avec la ligne éditoriale de Lurelu). Tout de même, on peut transposer plusieurs de ses propos sur le monde de l’édition « adulte ». Comme je suis moi-même à la fois auteur et critique, je me suis senti interpellé par le texte de Sernine. Il y aborde le sujet délicat de la critique constructive, qui serait, selon plusieurs auteurs, une qualité essentielle : « Une critique devrait être constructive, ou ne pas être. » Je ne partage pas cet avis, et Sernine non plus.

Pourquoi insiste-t-on sur le fait qu’une critique doit être constructive? Je crois que l’idée vient, d’une part, d’une certaine incompréhension de la place et du rôle du critique littéraire et, d’autre part, d’une mauvaise utilisation de l’expression « critique constructive ».

J’ai eu plusieurs discussions sur le sujet avec des amis et des connaissances qui œuvrent dans le milieu de l’édition. Deux arguments reviennent presque systématiquement pour défendre la critique constructive (et discréditer ceux qui se permettent d’émettre des avis négatifs, parfois grinçants, sur les romans qu’ils n’ont pas appréciés). Le premier argument stipule qu’une critique devrait être constructive, puisqu’une critique bêtement négative (ou pire, méchante) ne sert à personne. Quant au second, il soutient qu’en rédigeant des critiques dans une perspective constructive, on s’assure de garder un ton respectueux. Parce qu’en fait, un bon critique se doit d’être toujours respectueux. Et puisqu’on ne peut pas être méchant et respectueux en même temps, les critiques méchants deviennent, conséquemment, de mauvais critiques.

Je ne souscris à aucun de ces deux arguments. Voici pourquoi.

Parlons d’abord de la nature constructive de la critique. Cet argument m’apparaît sournois, parce que le terme « constructif » est tellement connoté positivement qu’il est difficile de s’y opposer. En fait, je ne suis pas contre les critiques constructives, mais je n’aime pas l’idée d’en faire un prérequis systématique pour qu’une critique soit considérée sérieuse et acceptable. Même chose pour les tenants de la critique « nuancée », cette dernière devant, si je comprends bien, obligatoirement dire au moins une bonne chose sur l’œuvre critiquée (cependant, comme le dit Sernine : « Mais s’il n’y a rien à dire de positif au sujet d’un livre? Tout simplement rien? »). La critique constructive a sa place, évidemment, mais pas nécessairement dans un contexte de critique littéraire. Le terme « constructif » n’est pas adéquat pour désigner l’obligation du bon critique de ne pas tomber dans la gratuité, d’éviter de simplement énoncer son avis. En ce sens, on devrait plutôt parler de critique « argumentée ». Ce terme délimite mieux la responsabilité du critique à l’honnêteté et la transparence intellectuelle : s’il mentionne un point (positif ou négatif) à propos d’un roman, il doit donner des exemples pour asseoir ses propos. Une bonne critique constructive est argumentée, mais une critique argumentée réussie n’est pas nécessairement constructive. On pourra m’accuser de jouer sur les mots. Mais en tant que littéraire, je vais prendre ça comme un compliment.

Une critique gratuite, sans argument (et donc de mauvaise facture) dira : « Ce roman est un échec lamentable. J’ai détesté ma lecture d’un bout à l’autre. » La version argumentée de la même critique a déjà pas mal plus de substance : « Ce roman est un échec lamentable, parce que... et... et puis… Ce pourquoi j’ai détesté ma lecture d’un bout à l’autre. »

Dans les deux cas, on a certainement affaire à des critiques négatives. Mais s’agit-il pour autant de mauvaises critiques? Si les arguments se tiennent et qu’ils semblent raisonnablement reliés à l’appréciation du critique, pour moi, oui, c’est adéquat (la première critique donnée en exemple n’est donc pas vraiment réussie, puisqu’elle ne présente aucun argument). Que la critique soit positive ou non. Qu’on soit d’accord avec l’appréciation du critique ou non.

(D’ailleurs, petite parenthèse. J’ai souvent entendu des gens affirmer qu’un critique « s’acharnait » sur un roman, c’est-à-dire qu’il enchaînait les exemples sur les défauts de telle œuvre. Si tous les points que le critique souligne sont vérifiables, où est le problème? Y a-t-il un quota d’éléments négatifs qu’on peut dire sur un roman?)

Ici, les partisans de la critique constructive rétorquent habituellement avec l’un ou l’autre de ces contre-arguments : 1) Mais une critique constructive, ça sert à l’auteur. C’est mieux, non? (ou encore...) 2) Mais dire qu’un roman « est un échec lamentable », ce n’est pas très respectueux, hein. Les vrais critiques ne tiennent pas ce genre de propos!

Je reviendrai plus tard au deuxième point, sur le respect, déjà annoncé. Finissons-en d’abord avec la critique constructive.

L’idée que le critique doit « aider » l’auteur dans son cheminement est plutôt incongrue. D’abord, le roman (ou la nouvelle, mais bon, simplifions) critiqué est déjà publié. C’est au directeur littéraire, au comité de lecture de faire des critiques constructives, quand l’œuvre est encore malléable, que ses défauts peuvent être corrigés. Sernine souligne d’ailleurs ce non-sens dans son éditorial : « Ce serait désormais à la critique d’assumer [le rôle de l’éditeur]. Mais c’est trop tard : le livre est publié. »

J’ajouterais un autre point qui m’apparaît primordial  : le critique n’est pas en dialogue avec l’auteur, mais avec l’œuvre de ce dernier. Non, ce n’est pas la même chose. Le critique n’a pas de compte à rendre à l’auteur en tant qu’individu. Le critique n’a rien à gagner (ou à perdre) si l’auteur fait mieux la prochaine fois, ou s’il répète les mêmes erreurs. Le critique explore le roman, en examine la structure, la facture, la thématique, la richesse littéraire, dans une perspective d’appréciation et d’analyse (dans le fond, l’un va pas mal avec l’autre). Et pour ce faire, le critique doit considérer le roman comme un produit achevé, statique. Or, une critique constructive est uniquement utile quand l’auteur peut appliquer les éléments critiqués à la réécriture de son œuvre. Et comme nous l’avons dit plus tôt, après la publication, il est trop tard. À quoi bon?

Je répète, donc : on devrait parler de critique argumentée plutôt que de critique constructive dans le cadre d’une critique littéraire publiée. La critique constructive est tout à fait pertinente (et nécessaire!) avant la publication. Mais après…?

La question du respect, maintenant. Sernine s’interroge dans son éditorial : « Y a-t-il une manière "respectueuse" d’affirmer qu’un livre est médiocre? » Je crois qu’à la base, cette façon de raisonner est viciée. Chercher l’équilibre entre la formulation respectueuse de critiques négatives et le besoin pour le critique d’énoncer, au besoin, des commentaires négatifs est un exercice louable, mais qui ne touche ultimement pas au fond du problème. Plutôt que de se concentrer sur l’expression du respect ou de l’irrespect dans la façon dont une critique est rédigée, il m’apparaît plus pertinent de considérer la cible, c’est-à-dire le destinataire de ce respect. S’agit-il de l’œuvre ou de son auteur? C’est précisément là que la limite doit être tracée.

Un critique qui insulte un auteur, ce n’est pas acceptable. Un critique qui insulte une œuvre, que ce soit un film ou un roman, ça ne pose aucun problème, parce qu’une œuvre N’EST PAS UNE PERSONNE. Je ne pourrais trop insister sur ce point. Une œuvre n’a pas de sentiment. Une œuvre n’est pas un être vivant, et encore moins un être conscient. Une œuvre, un roman, ça ne mérite pas automatiquement le respect. Une personne (comme, par exemple, un auteur), oui.

Il y a une énorme différence entre « ce livre est un véritable torchon » et « cet auteur est très mauvais ». Dans certains cas, c’est une simple question de formulation (la plupart du temps, mentionner qu’un roman est mal écrit revient pas mal à dire que l’auteur écrit mal, par exemple), mais c’est justement là que tient la responsabilité de respect qu’a le critique. Pas envers une œuvre, mais envers une personne.

Et oui, je suis conscient qu’une critique négative n’est jamais plaisante à recevoir. J’en ai reçu (et j’ai survécu!). Je comprends qu’un auteur puisse être insulté par une critique qui ne fait que ressortir des points négatifs de son œuvre, peut-être même dans des termes cinglants. Mais ça ne veut pas dire que le critique a manqué de respect envers l’auteur. C’est une différence fondamentale.

Certains insisteront que, quand même, une critique vitriolique n’est pas professionnelle. Que les « vrais » critiques ne font pas cela (selon la situation, les « faux » critiques seront blogueurs, ou publieront en fanzine, ou encore dans des revues spécialisées et professionnelles mais, selon ces bons défenseurs de l’ordre et de la morale, ne le devraient pas). Puis-je souligner à quel point cet argumentaire est vide? Tant qu’à faire, les « vrais » auteurs n’écrivent pas de mauvais romans, bon. Est-on plus avancé? Non. Je vois dans ce genre d’accusation une volonté puérile de définir le rôle du critique littéraire en fonction de l’ego (ou de la sensibilité, pour tourner ça plus gentiment) des auteurs. Ce n’est pas vraiment comme ça que ça fonctionne (ou que ça devrait fonctionner). La critique littéraire a une dimension, justement, littéraire. C’est un acte de création, au même titre que n’importe quelle écriture de fiction. La portée, le but, les stratégies de mise en texte sont très différents, puisque la critique porte spécifiquement sur une œuvre, ou sur un corpus, et qu’elle y répond. Néanmoins, fondamentalement, la critique a droit aux mêmes libertés que n’importe quelle autre œuvre littéraire.

J’entends aussi souvent qu’on ne devrait pas critiquer les mauvais livres, que les critiques devraient se contenter de parler de ce qu’ils ont aimé. C’est une stratégie tout à fait acceptable, mais je suis mal à l’aise avec l’idée d’en faire une obligation. Pourquoi empêcher les critiques de rédiger des critiques négatives? Pourquoi ne pas empêcher les auteurs de publier des mauvais romans, à la place? Quoi, c’est subjectif, la valeur d’un roman? Et bien, si c’est subjectif et que l’avis de quelqu’un sur une œuvre lui appartient, peut-on laisser les critiques s’exprimer comme ils l’entendent sur les romans qu’ils traitent, [insérer ici sacre bien senti]? Que le critique diffuse/publie son opinion sur la question ne change rien et ne le place aucunement dans une situation particulière (tant qu’il demeure respectueux envers la personne qui a créé l’œuvre).

Je suis conscient de ne pas avoir fait le tour de la question. Mais en tant qu’auteur, en tant que critique, c’est un débat qui m’intéresse. J’y reviendrai probablement, si je trouve un autre angle à partir duquel aborder le problème. Je serais curieux de lire vos avis là-dessus, d’ailleurs.

27 commentaires:

  1. Voilà à peu près ce qui me passe par la tête quand je vois les auteurs se plaindre sur le Web (ici, lire : Facebook) qu'on publie des "mauvaises" critiques sur tel ou tel blogue, ou particulièrement sur Lurelu.

    C'est plate parce que j'aime bien poster des critiques sur Goodreads, mais je le fais surtout pour les livres étrangers; quand c'est local, je me limite aux critiques positives. Si c'est poche, je ne mets rien. Tout ça parce que le milieu québécois, c'est vraiment un petit-petit village, et que si tu dis des mauvais mots sur un livre, ça va inévitablement t'exploser au visage un jour ou l'autre. Je salue donc ton courage, et celui des autres critiques de Brins d'éternité (et de Solaris, et de Lurelu...), pour mettre vos tripes sur la table quand vient le temps de critiquer une oeuvre.

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    1. Merci! Même si je ne me sens pas particulièrement courageux, vraiment. Je n'ai pas l'impression d'avoir été "puni" pour une mauvaise critique (et j'en ai commis quand même quelques unes), alors bon. Ça va peut-être revenir me mordre un jour. On verra :)

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  2. Un des problèmes que tu n'identifies pas, il me semble (mais j'avoue avoir un peu survolé le texte), c'est qu'on fait de critique constructive un synonyme de critique positive sans jamais s'interroger sur le vrai sens de constructive.

    Au pied de la lettre, une critique constructive aide à construire. Qui ou quoi? Ce n'est pas précisé. Il est néanmoins possible de soutenir qu'une critique peut être constructive même si elle est négative et presque pas circonstanciée à condition que l'auteur la prenne non pas pour son ouvrage ou pour sa personne, mais pour son écriture. En effet, si on se place de ce point de vue, même un avis négatif peut éclairer l'auteur sur sa pratique d'écrivain à condition que la réaction du critique comporte suffisamment d'éléments pour que l'auteur comprenne mieux ce qui a fait réagir ce lecteur en particulier.

    Cela dit, la critique constructive n'existerait que dans la mesure où l'auteur la reçoive de cette façon. Un auteur certain de son talent prendra la critique positive la plus argumentée et révélatrice pour une confirmation de son génie, et toute critique négative pour l'expression d'une jalousie mal placée ou d'une incompréhension démontrant la bêtise du critique.

    Bref, il n'y aurait pas de critiques constructives, il n'y aurait que des auteurs constructibles.

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    1. J'aime bien l'idée que tu amènes, mais je ne suis pas du tout d'accord. Quand je fais de la direction littéraire sur un texte, je produis une forme de critique constructive. Or, ce genre de critique est fondamentalement différente dans ses objectifs et dans sa structure de la critique littéraire publiée. Donc, il y a bien des critiques constructives: quand le critique les élabore en ce sens.

      Mais je suis d'accord avec l'idée qu'un auteur peut faire une lecture constructive d'une critique simplement argumentée.

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  3. Essai admirable, Guillaume. J'aurais aimé disposer d'autant de place que toi. D'ailleurs, la première version de mon texte, avant qu'on décide d'en faire l'éditorial, abordait d'autres questions, dont celle du respect que n'ont pas certains éditeurs envers leurs jeunes auteurs, qu'ils envoient à l'abattoir (de la publication, donc de la critique) sans les aider en travaillant au préalable leur manuscrit. Je pensais particulièrement à un éditeur, vous vous doutez duquel -- donnons pour seul indice le fait qu'il ne lit pas les livres qu'il publie, de son propre aveu. J'ai d'ailleurs à son propos des témoignages d'autres formes de manque de respect. Mais ne nous acharnons pas sur lui, il y en a d'autres, à divers degrés. Une première forme de respect serait d'ailleurs -- et j'y fais allusion dans mon édito -- de dire «écoute, ti-gars, ce ne serait pas te rendre service que de publier ça, mais continue de travailler». Et idéalement, de travailler avec lui, mais qui a le temps de faire ça de nos jours? -- ou même la compétence de le faire, mais j'ai eu la sagesse de ne pas m'aventurer de ce côté.
    Deux autres points, laissés de côté parce que je ne voulais pas faire cinq pages d'edito. D'une part, la brièveté obligée de nos critiques: on ne peut pas en publier 120, 130 par numéro en y consacrant une page de revue chacune. Impossible, donc, de proposer une citation à l'appui de chaque remarque.
    Et d'autre part, jusqu'au début du millénaire, Lurelu se targuait de commenter tout ce qui se publiait dans notre champ d'intérêt, et y parvenait pas mal. Ce faisant, nous voulions rendre service à notre clientèle principale, les acheteurs et utilisateurs de livres jeunesse (écoles, bibliothèques, etc). Nous faisions donc le choix de tout commenter, joyaux autant que m****s. C'est sûr qu'on peut facilement avoir l'air gentil en ne commentant sur son blogue que les livres qu'on a trouvé bons -- quitte à laisser l'impression que tout est bon. N'oublions pas que nos collaborateurs/trices sont payés. Quelle dynamique s'instaurerait si Lurelu se mettait à ne pas publier les critiques qui s'avèrent négatives? Il faudrait, en toute honnêteté, les payer quand même -- ce que nous faisons quand, bon an mal an, le manque d'espace nous oblige à en retrancher certains au moment de la mise en page...
    Bon, je m'arrête ici pour le moment -- le sujet est inépuisable -- et je retourne à la facturations, aux abonnements, etc.
    Merci pour ce moment d'élévation, Guillaume.

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    1. Merci pour les précisions, Daniel :)

      Je réalise bien que je base ma réflexion sur une pratique de la critique qui ne connait pas les contraintes éditoriales que tu mentionnes. Évidemment, ça change la donne. Il y a forcément un écart entre l'idéal théorique et les réalités de la pratique. Mais tout de même, ça ne change pas ma position générale.

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  4. Excellent texte, Guillaume.
    J'espère qu'un grand nombre de gens qui s'adonnent à la critique ou voient leurs oeuvres être critiquées prendront le temps de te lire.

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    1. Merci à toi, Sébastien, qui m'a parlé de l'éditorial de Daniel! J'avais déjà le projet d'écrire un billet sur le sujet, et l'édito m'a fourni la motivation nécessaire pour que je m'y plonge.

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  5. Merci Guillaume pour ce texte, qui m'a beaucoup fait réfléchir.

    En tant qu'auteure, ça ne me dérange pas qu'on n'aime pas mon roman, tant que le critique explique pourquoi (un a déjà écrit que c'était trop "scolaire", je ne l'ai pas pris trop mal puisque mon but est en partie d'être mise au programme par les écoles! lol!). Et en assumant que l'argument est valable (on m'a reproché un mauvais emploi de termes, alors que c'est le critique qui aurait eu besoin d'un dictionnaire!!!). Et qu'on ne tombe pas dans l'attaque personnelle (j'suis chanceuse, j'y ai pas eu droit à date, mais j'en ai vues).

    Bref, en tant qu'auteure, toute critique argumentée me semble "constructive" au sens de "si je suis d'accord avec l'argument, je pourrai en prendre compte dans mes prochaines œuvres".

    Mais je me rends bien compte en lisant les réactions sur Facebook que certains auteurs ne réagissent pas de la même manière. Pour certains, tout commentaire non élogieux devient une attaque personnelle.

    Et c'est là que, en tant que critique de fraîche date, des fois je ne sais plus comment me positionner. Comme le souligne Daniel, je suis payée pour critiquer, donc je dois le faire que j'aime ou que je n'aime pas.

    Quand le roman est étranger, je me permets de donner mon avis de façon claire (et argumentée), tout en essayant d'expliquer mes biais s'il y a lieu. Mais quand on tombe dans le roman québécois, là ça devient plus compliqué. Ai-je vraiment envie qu'un auteur prenne ma critique (toute argumentée soit-elle) pour une attaque personnelle et parte une campagne de salissage sur Facebook?

    Alors j'avoue qu'il m'arrive de louvoyer. De formuler une critique sans chaleur qui pourra sembler favorable aux yeux d'un auteur en amour avec son œuvre, mais qui devrait paraître mitigée aux yeux de toute personne dotée d'un peu de sens critique. Je me console de ce compromis en me disant que de toute manière les gens dépourvu de sens critique aimeront sans doute l'œuvre! lol!

    Maintenant, est-ce que, en procédant de cette manière, je contribue à entretenir le mythe que les critiques doivent être positives? Probablement.

    Me v'là donc prise avec un dilemme moral. Continuer à louvoyer et entretenir le mythe ou risquer de multiplier les ennemis?

    Faut que j'y pense.

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    1. Les mauvaises critiques pas très crédibles, ça donne parfois des anecdotes amusantes :)

      La mécanique sociale que tu décris existe bel et bien, malheureusement. Personnellement, j'ai tendance à me dire que si un auteur réagi si mal à la critique qu'il est prêt à partir une campagne de salissage contre le critique, ce n'est probablement pas quelqu'un que je veux fréquenter anyway, donc je n'ai rien à perdre (à part, potentiellement, un peu de propreté sur le net). Remarque, je dis ça, mais ce n'est pas arrivé. Si ça se produit, il est très possible que je change d'avis sur la question.

      J'aimerais aussi insister sur le fait que mon billet ne vise pas à imposer une manière de faire la critique, ou à culpabiliser ceux et celles qui ne procèdent pas comme moi: je m'adresse surtout aux personnes qui semblent vouloir museler certains types de critiques (qui m'apparaissent pourtant faire leur travail de façon professionnelle).

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    2. Oh, je ne l'ai pas du tout pris comme une attaque personnelle. Au contraire, ça a nourri ma réflexion, parce que je m'aperçois que je n'ose pas toujours dire carrément quand un livre m'a déplu. Surtout s'il est québécois.

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  6. Pierre-Alexandre Bonin17 septembre 2015 à 21 h 53

    Je suis tout à fait d'accord avec l'éditorial de Daniel, ainsi qu'avec ton billet. D'autre part, je ne peux m'empêcher d'acquiescer énergiquement au commentaire de Geneviève!

    Ironiquement, j'ai l'impression que le « problème » de la critique tel qu'il est posé dans l'éditorial de Daniel se pose particulièrement dans la littérature jeunesse et dans la SFFQ. D'une part, ce sont deux pans de la littérature qui disposent de peu ou pas d'exposition dans les grands médias traditionnels (quelle est la dernière critique d'un roman jeunesse ou d'un roman de SF que vous avez lue dans La Presse ou Le Devoir?).

    La critique « sérieuse » (qui s'oppose à la critique « amateure » sur les blogues) n'a donc d'autre médias que les revues spécialisées.

    D'autre part, la littérature jeunesse ainsi que la SFFQ sont des milieux tricotés serrés, où tout le monde connaît à peu près tout le monde, ce qui augmente les « risques » de vivre une situation inconfortable pour le critique ayant publié une mauvaise critique d'un auteur québécois.

    D'autre part, je pense qu'on pourrait établir un parallèle entre la situation du critique littéraire de jeunesse et de SFFQ à celui de critique de cinéma. Il n'y a pas si longtemps, Marc Cassivi est revenu avec Guillaume Lemay-Thivierge sur le cri du coeur de ce dernier, lancé il y a 5 ans (si ma mémoire est bonne) et où il disait, en substance, que la critique se devait d'éviter de descendre en flammes les films québécois, parce que c'est un petit marché, et que notre cinéma a besoin de critiques positives pour survivre.

    Dans les deux cas, on met de l'avant le fait que c'est un petit marché, que des gens en vivent, et ce faisant, que le critique devrait se contenter de parler en bien des œuvres qui voient le jour.

    Mais le problème, c'est que le critique a, à mon sens, un devoir envers les lecteurs/cinéphiles. Il agit en quelque sorte à titre de guide, pour orienter le choix de ceux-ci et faire le tri dans la masse de romans/films qui s'offrent à lui. Cette responsabilité est fondamentale, et implique que la critique peut et DOIT parfois être négative, en autant qu'elle soit argumentée, évidemment.

    Malgré tout, il m'arrive souvent, devant une œuvre québécoise que j'ai moins aimé de me poser la question à savoir si je vais être totalement honnête ou si je vais tenter de ménager les susceptibilités. Je travaille fort pour que mes critiques soient les plus honnêtes possible, mais il y a toujours une crainte, derrière, de passer pour un fauteur de trouble, et de se faire des « ennemis » dans un si petit milieu... Donc je fais comme Geneviève, je louvoie et je tente de ménager la chèvre et le chou. Et en même temps, je dis ça, et j'ai encore en tête la critique que j'ai fait de l'un des romans de la série Cobayes dans laquelle je n'ai à peu près rien trouvé de positif à dire. Mais je me suis assuré de présenter des arguments objectifs à chaque fois que je mentionnais quelque chose qui ne fonctionnait pas. Évidemment, j'ai été soulagé de voir que je n'étais pas le seul à avoir trouvé ce roman particulièrement mauvais. J'ai même comparé les autres critiques pour voir si j'étais plus « méchant » que les autres!

    Bref, cet éditorial et ce billet sont excessivement pertinents et vont probablement orienter ma réflexion en tant que critique.

    Merci messieurs!

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    1. J'ai aussi vu passer l'entretien Thivierge/Cassivi, dont je n'ai pas grand-chose de poli à dire.

      Cela dit, je ne pense pas qu'un critique à le devoir de soulever TOUS les points négatifs d'une oeuvre. Il y a un tri à faire. De là, il y a une marge de manoeuvre à partir de laquelle il est possible de moduler le ton de la critique. C'est discrétionnaire. Donc, forcément, chaque critique procède un peu de manière différente.

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    2. @PA Bonin. Holà! La critique amateure sur les blogues! :P Pour ma part, je ne fais que poursuivre le chemin que j'avais entamé autrefois à travers Brins d'Éternité.

      À part de cela, très intéressant tous ces commentaires concernant ton billet, Guillaume.

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  7. Bon, j'avoue avoir mal utilisé le terme « critique constructive », alors que je parlais de « critique argumentée ». Maintenant qu'on distingue les deux, ça me semble évident. Les critiques argumentées sont super importantes, même si ça trouble l'auteur du texte qui a provoqué cette critique. J'apprends de chacune d'elle, même si elle me turlupine pendant quelques jours. Parfois, j'aimerais dire au critique que je suis d'accord avec son argument, ou qu'il a tout simplement mal compris un aspect de mon texte; ensuite, je me dis que c'est de ma faute, que j'aurais du être plus clair.

    Est-ce qu'on se met vraiment du monde à dos en écrivant des critiques négatives? Je ne sais pas. Guillaume, tu es plutôt honnête dans ses critiques, et tu ne sembles pas avoir plus d'ennemis que moi. J'avoue que ceux qui ne font que des bonnes critiques ont beaucoup d'amis (!), mais leurs critiques ne sont pas considérées avec le même sérieux.

    Et, surtout, personnellement, une critique argumentée, même négative, ne m'empêche pas d'acheter un livre dont j'avais déjà envie.

    L'autre problème, pas soulevé, c'est que les auteurs reprochent rarement à une critique dithyrambique d'être argumentée...

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    1. L'idée de la critique argumentée (vs constructive), c'est ma contribution toute personnelle au débat. Content de voir que ça peut t'aider un tout petit peu à y voir plus clair :)

      Tu dis que parfois, tu aimerais t'expliquer au critique... Ça, le fait de répondre aux critiques, c'est une autre histoire complètement (spoiler: c'est rarement une bonne idée. Je l'ai fait, je le regrette). Et puis, comme tu dis, souvent, si un lecteur ne comprend pas quelque chose dans un texte, c'est parce que le texte n'est pas assez clair. Il y a, évidemment, de mauvais lecteurs, mais on peut supposer qu'un critique ne tombe pas dans cette catégorie (même si on sait que, dans certains cas...).

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    2. Est-ce qu'on se met vraiment du monde à dos en écrivant des critiques négatives? Oui. Surtout des filles (en général, les filles prennent mal la critique). Et elles font ça sournoisement. Et ça c'est sans compter les éditeurs qui le prendront mal si jamais on critique négativement un livre qu'ils ont publié. Mettons que ça diminue les chances de se faire publier là.

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    3. C'est vrai que je me considère un peu brûlé chez certains éditeurs québécois, dont j'ai publié peut-être un peu trop de critiques négatives (c'est une impression, je n'ai pas de confirmation de ça). Mais ce ne sont pas non plus des éditeurs que je considère sérieusement pour des soumissions, parce que manifestement, on a une vision incompatible de la littérature.

      Quant aux filles qui prennent mal la critique, je vais te croire sur parole :P

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    4. @Guillaume Voisine Je confirme.

      En lisant certains Brins, j'avais l'impression qu'un éditeur X ne publiait rien de bon, parce qu'à chaque fois que je lisais tes commentaires, il ne me semblait qu'être négatif. Alors, je m'étais dit : « Mais pourquoi il s'acharne à proposer des commentaires sur les productions de cette maison ? »

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    5. @Gabrielle Quand on reçoit des services de presse (non sollicités, dans ce cas), on se sent un peu obligé d'en faire la critique.

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  8. Personnellement, je pense qu'une critique bien argumentée, positive ou négative, est de facto constructive. Les critiques gratuites, positives ou négatives, sont inutiles à la fois à l'auteur, les autres critiques et les lecteurs. Ma philosophie quand je rédige une critique (et que j'en lis une) est qu'une critique, peu importe qu'elle soit positive ou négative, doit donner assez d'info pour que celui qui la lise décide de lire ou pas le récit sur lequel elle porte. Malheureusement, certains critiques ne se donnent pas la peine d'argumenter : ils affirment et il faut les croire sur parole parce qu'ils sont critiques. Je n'achète pas ce genre de vision : les critiques sont des êtres subjectifs et faillibles, ils doivent justifier ce qu'ils pensent dans le meilleur du possible et tenir compte de leurs biais (parce qu'ils en ont comme tout le monde).

    Mon cube de sel :-)

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    1. Critique (le texte) vs critique (individu) ça devient mêlant :-p Critique vs Critiquant? Critique vs Commentateur? :-)

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    2. Il me semble nécessaire de distinguer la réception de la critique de son énonciation, ici. Oui, n'importe quelle critique bien faite (argumentée, informative, etc) peut servir à un auteur dans ses écrits futurs: on pourra dire, en ce sens, qu'elle est constructive. Du point de vue du lecteur, ça n'a pas d'importance.

      Mais je me positionne surtout, dans mon billet, en tant que critique. C'est là que la distinction est pertinente, parce qu'elle dicte la façon dont le critique va construire son argumentaire. La notion du fait que la critique *doit* être utile à l'auteur m'apparaît vraiment toxique. Le critique n'est pas la bitch de l'auteur, tsé. Cela dit, oui, j'embarque dans l'idée que le critique a une responsabilité envers le lecteur.

      Bien d'accord aussi sur la nature faillible et subjective des critiques; raison de plus pour bien étayer chaque compte-rendu critique, finalement :)

      (Et, pour "critique vs critique", j'essaie de m'en tirer avec "le critique" (==> personne) vs "la critique" (==> le texte). Ce n'est pas parfait, j'en conviens.)

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  9. Zut, j'avais écrit de quoi et je viens de le flusher en voulant corriger un truc... Ouais, j'ai perdu l'habitude de blogger à force de trop traîner sur Facebook :-p

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  10. Il y aurait beaucoup de choses à dire, mais j'admets être plus souvent du côté de celui qui reçoit le critiques que de celui qui les donne.

    Je vais donc me taire sur le côté viandu du débat, et essayer une approche latérale.

    La critique est une forme d'art.

    Pour simplifier, on peut identifier trois approches en réaction à une œuvre d'art. On peut la critiquer positivement, négativement, ou l’ignorer.

    En tant qu'auteur, c'est la troisième qui fait le plus mal, ceci dit en aparté.

    On peut réagir à la critique de la même manière. L'approuver, émettre son désacord, on se la fermer ben serré.

    En partant de là, les critiques disposent de la même liberté que les auteurs eux-mêmes. Et s'exposent au mêmes risques, c'est-à-dire être eux-même critiqués. Et, face à cela, ils disposent de l'arme de destruction missive: leur hautain et silencieux mépris.

    Il y a peut-être un autre point qui n'est pas abordé ici. Il est très possible qu'un auteur profite d'une critique négative. Pas parce que le critique le réveille grâce à ses lumières, mais parce que l'auteur est d'accord avec lui. Parce que ça le turlupinait, mais qu'il a fait taire son critique intérieur une fois de trop, et qu'il a produit une œuvre avec une tare génétique à laquelle il ne voulait pas faire face. Dans un sens, «constructif», ça peut vouloir dire bien des choses qu'on ne veut pas lui faire dire.

    Allez les auteurs! Vous n'êtes pas contents d'une critique? Ignorez la. Ça leur apprendra.

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    1. Je suis d'accord avec ton dernier commentaire Philippe. Bien que ça aurait été préférable, à mon avis, de recevoir ce commentaire sur « Est-ce que c'était bien que j'inclus cette partie/passage/idée dans mon texte? » avant l'édition de ce même texte. Mais comme ça m'est arrivé (pour des écrits critiques auxquels je n'avais plus accès une fois publié), je comprends que la situation inverse (et préférable) ne soit pas à la portée de tout le monde.

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