9/16/2008

Patricia Highsmith et la SF

Ne cherchez pas le lien trop longtemps: à ce que je sache, l'écrivaine n'a jamais touché à la science-fiction. Elle a oeuvré dans la littérature de genre, mais dans le domaine du polar.

Je ne suis pas un lecteur de Highsmith, mais j'ai quand même lu son Art du suspense récemment, pour un cours de maîtrise (ce n'était pas une lecture obligatoire). Dans le dernier chapitre, l'auteur discute sur le suspense en tant que genre littéraire, en opposition, notamment, avec la littérature dite générale. "En règle générale, il est vrai que les critiques aux États-Unis consident le roman policier comme un genre mineur, bien inférieur au roman traditionnel, dont on suppose d'emblée qu'il a plus de profondeur, d'importance et de valeur parce que c'est un véritable roman et que l'autre a priori a pris au sérieux ce qu'il écrit." (p. 208) Évidemment, ce passage m'interpelle : il suffit de remplacer "policier" par "de science-fiction"...

Je suis moins d'accord, cependant, avec la solution qu'elle propose pour rapprocher la littérature de genre de la générale : tout miser sur l'histoire. "C'est l'histoire qui fait la valeur durable d'un livre. Les moeurs et le comportement ont beau changer au cours des décennies, les scénaristes de cinéma et de télévision n'en finissent pas d'exploiter Henry James, parce qu'il a toujours raconté une bonne histoire." (p. 214)

Premièrement, je doute que les canons de la télévision et du cinéma en matière de scénario soient des repères particulièrement fiables pour juger de la qualité d'une histoire. D'une autre côté, oui, une histoire forte, puissante, évocatrice aura plus de chance d'être adaptée au petit ou grand écran qu'une autre, plus tiède, sans toutefois être tout à fait mauvaise. Mais une histoire très évocatrice est-elle automatiquement une bonne histoire, indépendamment de la façon dont elle est racontée?

Ensuite, je ne suis pas un grand lecteur de James, je ne connais que son Tour d'écrou. Mais justement, est-ce vraiment l'histoire de ce court roman qui en fait un classique, ou n'est-ce pas plutôt l'écriture, le style que l'auteur a déployé pour instaurer une atmosphère d'oppression et d'indétermination?

Je ne dis pas que l'histoire est superflue, que seul le style compte. La construction d'une intrigue est un art noble et difficile, tout comme l'est la représentation de personnages crédibles et vivants. Il faut rajouter à ça, dans le domaine de la SF, la création d'un univers, l'invention de concepts fondamentaux qui modifiront d'une façon fondamentale et structurante l'intrigue d'un texte ainsi que la psychologie de ses personnages.

Pour moi, autant en SF qu'en littérature générale, il faut davantage qu'une bonne histoire pour faire un bon roman : la qualité de l'écriture doit être au rendez-vous. De plus, idéalement, il faut davantage qu'une plume de qualité (une grammaire correcte, une syntaxe impeccable), il faut un style, une originalité, qui peut se présenter de plusieurs façon. Certains rechercheront une (ou des) émotion(s), une voix particulière, une étincelle littéraire, comme une parcelle de l'auteur traduite en mots. Personnellement, je m'intéresse à des choses plus cérébrales, comme des structures narratives particulières (j'ai bien hâte de lire La Horde du Contrevent d'Alain Damasio, d'ailleurs). Dans les deux cas, on peut difficile rapporter ces éléments directement à l'histoire. Il s'agit plutôt de la façon dont elle est racontée. Le style n'est pas uniquement une question de belles tournures de phrases, de métaphores profondes ou autres fioritures: c'est une prise de position par rapport à l'écriture et au statut de raconteur, fondamentale, inévitable, et les conséquences de cette prise de position façonnent, d'une manière ou d'une autre, tout texte littéraire.

Je ne sais pas si, du point de vue de la qualité, il y a véritablement un gouffre qui sépare la littérature de science-fiction de la littérature générale (ou Grande Littérature, avec de grosses majuscules). J'ai plutôt l'impression que ce n'est pas le cas, qu'il y a des navets et des chefs d'oeuvres des deux côtés.

En fait, je ne veux pas vraiment établir de distinction SF/mainstream. Je perçois plutôt les deux entreprises comme des façons différentes et complémentaires de voir et de pratiquer la littérature. L'idée d'imposer une hiérarchie de valeur entre les deux me semble absurde et relever soit de la complète perte de temps, soit d'un certain snobisme.

6 commentaires:

  1. Sans dénigrer la littérature mainstream, je trouve que c'est de plus en plus dans la SF qu'on trouve une analyse intéressante de notre monde contemporain. Dans ma vie professionnelle, je suis fasciné de voir comment chaque débat soulevé par une nouvelle technologie évoque toujours le spectre d'un roman de science-fiction, bien plus que l'oeuvre de Proust ou de Balzac... Hé hé... Sans les dénigrer, bien sûr, mais je veux juste dire qu'une bonne part de notre univers technologique se reflète plus dans la SFF que dans bien d'ouvrages mainstream qui en sont à peine rendue avant la deuxième guerre mondiale...

    Quand à la thèse de Highsmith, je suis aussi en désaccord. Dans le vieux débat de "qui est le plus important? l'intrigue ou les personnages?", il me semble qu'un bon roman/nouvelle etc. se caractérise par une bonne synergie entre tous ces éléments, auxquelles ont peut ajouter le style et le reste...

    Bien sûr, je livre les impressions qu'un profane s'est formé à la longue :-)

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  2. Le roman "traditionnel" est considéré supérieur à tous les autres genres (policier, science-fiction, fantastique, etc.) tout comme les artistes classiques de la Renaissance vénéraient l'art grec, sans compter les philosophes qui n'ont cessé (et qui ne cessent) de tourner et de retourner les oeuvres de Platon et d'Aristote, oeuvres qui ont plus de deux millénaires... Bref, l'art évolue, tout comme les styles et les sujets changent avec le temps, mais les "théoriciens" de l'art aiment fixer des règles et des limites qui conduisent à une sorte de stabilité (ce qui est impossible, car tout est en mouvement…). Je suis bien d'accord avec Guillaume : hiérarchiser les genres est ridicule. Il y a selon moi des styles différents, mais non supérieurs.

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  3. Bonjour et bienvenue à tous dans ce cours sur le roman policier. D'abord, comme tous le savent, le policier, ce n'est pas de la littérature mais bien de la PARAlittérature. C'est le genre de livres, vous savez, qu'on prend le dimanche matin parce qu'on se dit "tiens, aujourd'hui, j'ai pas envie de me casser la tête", mais on n'analyse pas le roman policier, non, on le... (La suite, dans une université près de chez vous...)

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  4. Hé Hé... Désaccord complet :-) Je suis moins polar mais je trouve qu'en SFF on doit souvent se casser plus la tête qu'avec du Proust et que des oeuvres SFF se livrent à une analyse passionnante qui renseigne bien sur le monde de leurs auteurs et de leurs lecteurs. Et toute, cette classification "paralittérature-littérature" que certains tiennent pour acquis et se contentent de réaffirmer comme si elle allait de soi (au même titre qu'il va de soi qu'un acide à ph=1 vous dissout les doigts...)... Elle ne me convainc pas du tout dans les faits et vient plus de contingences historiques (et d'un snobisme académique?), selon moi et d'autres plus experts. Je jetterais volontiers ce terme à la poubelle...

    Comme dit David, il n'y a pas de mauvais genre. Mais il y a sûrement de mauvais livres, et ceux là on les trouve partout!

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  5. PAC : Je suis un lecteur de Proust, et je trouve que La Recherche est une analyse encore tout à fait valable des comportements humains (tout particulièrement par rapport à la mémoire et à la jalousie, même si l'auteur en met un peu trop par moments sur ce dernier point). Mais en même temps, c'est plus qu'une analyse sociale, c'est une oeuvre d'art.

    Et puis c'est certain que du point du vue strictement technologique, la *science*-fiction est bien plus apte à explorer les conséquences sociales et humaines du progrès.

    David : Il peut être absurde de vouer un culte aux vielles affaire (je ne parle pas de gérontophilie, hein) et de dénigrer ce qui se fait de neuf, de différent, mais l'autre extrême n'est pas mieux. Les classiques sont intéressant et méritent d'être lus, autant en littérature qu'en philo (ou au ciné, en faisant abstraction de Land without bread).

    AC : Hors de ce blog, suppôt de Satan !!!

    PAC : "je trouve qu'en SFF on doit souvent se casser plus la tête qu'avec du Proust". Attention, tu es sur une pente glissante ;) Je ne veux pas me porter à la défense de Proust, l'oeuvre peut bien se défendre elle-même, mais ton affirmation me semble un peu gratuite (et pas très fondée : tu opposes une seule oeuvre à un corpus au complet, ça ne fonctionne pas vraiment).

    Je suis d'accord avec toi, cependant, pour la distinction litt/paralitt.

    Et oui, évidemment, il existe des mauvais romans, même si, paradoxalement, il n'y a pas tout à fait de critère absolu pour déterminer ce qui distingue un bon d'un mauvais roman (ou nouvelle ou whatever), tel trait d'écriture pouvant apparaître abominable chez un auteur mais être exploité d'une façon géniale chez un autre (je pense aux jeux de ponctuation auxquels se livre Saramago, par exemple)

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  6. Attention Guillaume, quand je parle de "casser la tête", je parle de l'effort mental que demande la lecture d'un livre.C'est en réponse au commentaire de AC "C'est le genre de livres, vous savez, qu'on prend le dimanche matin parce qu'on se dit "tiens, aujourd'hui, j'ai pas envie de me casser la tête"... Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation qui, elle, semble relevé d'un poncif démenti par les faits. En effet, j'ai lu des romans policiers et SFF très "légers" qui demandent peu de concentration, et j'en ai lu (Crowley, Dufour, etc.) qui m'ont demandé autant -- sinon plus -- d'efforts que quand j'ai lu Proust, Sade, Victor Hugo, Balzac, Salinger, Wilde et Hemmingway. J'ai lu plusieurs oeuvres SFF qui nécessitaient une lecture second et troisième degré pour les apprécier totalement.

    Je ne parle JAMAIS à travers mon chapeau, crois moi ;-), ce que j'affirme n'est pas gratuit et repose sur mon expérience de lecteur qui est loin d'être rudimentaire... C'est pour ça que je rejette la notion de paralittérature: mon expérience ne concorde pas avec cette théorie.

    Et je rappelle que je ne dénigre pas les auteurs classiques qui ont, comme tu dis, offert des analyses intéressantes du comportement humain... J'adore Zola sur ce point...

    ;-)

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