La Horde du Contrevent, d'Alain Damasio
Je voulais reprendre une de mes dissertations universitaires pour développer une critique de ce magnifique roman de Damasio, mais je me suis rendu compte assez rapidement que ça ne fonctionnait pas: premièrement, la critique serait beaucoup trop longue pour une lecture à l'écran. Ensuite, la dissertation avait été écrite dans le cadre d'un séminaire sur le récit de rêve en littérature, et ce n'est évidemment pas selon cet angle (quoi qu'il y a bien des choses à dire sur le sujet) que je voudrais aborder l'oeuvre. J'improvise donc une critique, là là, mais je ne garantis pas que je n'irai pas chipoter quelques passages de ma composition ici et là...
Rapide mise en contexte : La Horde du Contrevent d'Alain Damasio se déroule dans un univers où la terre est plate, où le vent, qui est l'élément central du roman, mais aussi du monde dans lequel l'histoire prend place, souffle constamment dans la même direction, d'amont en aval. La population est essentiellement séparée en deux classes : les abrités, qui vivent dans des villages de façon sédentaires, et les nomades. L'intrigue est centrée sur la 34e Horde du Contrevent, qui appartient à cette dernière classe, et qui a pour quête, comme son nom l'indique, de contrer le vent jusqu'à son origine, qui trouverait naissance en lieu mystique nommé l'Extrême-Amont, en opposition à l'Extrême-Aval, qui est leur point de départ.
La Horde est composée de vingt-trois personnages aux rôles divers et aux personnalités variées. La narration fait alterner les points de vue en sautant d'un individu à l'autre, à raison d’un paragraphe de longueur variable par narrateur, ce qui a pour double effet de présenter chaque situation sous plusieurs angles, mais aussi de faire de la Horde une entité unique et polyphrène, c'est-à-dire constituée de plusieurs esprits. Chaque nouveau paragraphe commence par le signe typographique se rapportant au personnage qui en assure la narration. Un paragraphe raconté par Sov le scribe sera orné d’un « ) », par un « π » pour Pietro le prince, par un « ~ » pour Callirhoé la feuleuse, un « Δ » pour Erg le combattant-protecteur, un « Ω » pour Golgoth, le traceur de la Horde, et ainsi de suite.
On pourrait se dire qu'il est douteux que l'auteur parvienne à faire tenir vingt-trois trames narratives dans un roman, même s'il fait plus de sept cent pages. En fait, ça fonctionne parfaitement, MAIS certains personnages-narrateurs sont beaucoup moins importants que d'autres, et sont donc bien moins représentés. Tout de même, l'auteur installe, grâce à cette ingénieuse tactique narrative, un effet de lecture à la fois sublime et déroutant, et dont les implications dans l'intrigue elle-même sont parfois troublantes (je n'en dis pas plus).
Autre trait formel amusant et inusité: la numérotation des pages est inversée, le roman commence à la page 700 et ce nombre diminue à mesure que le roman progresse. Tout comme la structure narratif, cet artifice formel est tout à fait justifié dans l'intrigue et dans l'esthétique de l'oeuvre, et symbolise (entre autres - encore là, je n'en dirai pas plus) le cheminement des personnages dans leur quête des origines du vent.
La Horde du Contrevent est un heureux mélange de fantasy et de... enfin, autre chose. Un peu de science-fiction, peut-être (navires volants et cie)? Une bonne dose de poésie, bien intégrée dans la cohérence de l'intrigue, et une touche de sémiologie, aussi, avec le langage du vent, qui vient parfois contaminer la narration humaine. J'aimerais bien montrer un exemple, mais la typographie est très importante, puisque la contamination passe par l'inclusion de signes, d'espaces, de vides entre les mots (ou dans les mots), et il ne me semble pas possible de reproduire cet effet ici. Vous devrez donc lire le livre pour comprendre de quoi je parle. De toute façon, ce n'est pas comme si c'était une corvée, que de dévorer ça. Oui, c'est une lecture exigeante, mais aussi enrichissante. Et c'est si bien écrit...
Ce roman de Damasio est dans ma liste de livres à relire au moins à quelques reprises dans quelques années (avec, notamment, La Recherche du Temps Perdu de Proust, Prochain épisode d'Aquin, La manufacture de machines de Louis-Philippe Hébert, toute l'oeuvre de Gombrowicz, une bonne partie de celle de Saramago...). Vraiment, ça m'a laissé une impression aussi durable que favorable.
À noter que le premier roman de l'auteur (La Horde était son deuxième), La Zone du Dehors, une autre brique, de SF dystopique cette fois, vient d'être rééditée en format poche chez Folio SF, et se trouve assez aisément en librairie. Je l'ai, mais je le laisse mûrir un peu dans ma bibliothèque, le temps qu'il soit à point.
Tu me l'avais recommandé, alors j'ai fouiné un peu et, intéressée par ce que j'avais lu, je l'ai commandé.
RépondreEffacerAprès voir lu cette critique, j'attends encore plus impatiemment qu'Archambault me l'envoie! :)
Ahhh La Horde... J'ai lu ça il y a quelques années, et personellement c'est devenu un de mes livres préférés; tu sais un de ceux que tu prends avec toi sur un île déserte...
RépondreEffacerUn chef-d'oeuvre !
Drôle de coincidence pour ta critique, puisqu'après "A Clash of Kings" de GRRM, j'avais l'intention de lire "La Horde du Contrevent" hahaha.
RépondreEffacerMais merci pour la critique (et celle dont tu m'avais fais oralement autour du bière si ma mémoire est bonne) qui me donne encore plus envie d'aller lire ce roman si prometteur! :)
C'est une critique tout à fait superficielle, en plus, j'ai l'impression que c'est le genre de livre qu'il analyser pour bien faire ressortir toute sa complexité et sa valeur esthétique. Mais c'est peut-être juste une déformations de littéraire ;)
RépondreEffacerGen: Je suis bien content de t'avoir fait dépenser des sous pour ce livre. Décidément, mes pouvoirs de suggestions se développent...
Alex: Sur une île déserte? Oh yeah, tellement. Comme je disais, j'ai hâte de le relire, parce que je sais que je vais plonger dans le roman encore plus facilement, et que je vais voir des choses de plus...
Alamo: Oui, j'ai tendance à faire la promo de ce livre quand j'ai un verre dans le nez, haha.
Nah, tu es pas encore assez fort pour me faire dépenser mes propres sous : c'est la carte-cadeau de Côté Blogue qui y est passée ;)
RépondreEffacerDiantre. Je retourne me pratiquer.
RépondreEffacer(Vos paupières sont loudrse. Non. Vous papillè... Non! Vos paupières seraient l... Ah pis...)
Ça a l'air un peu heavy pour mes goûts - et c'est de la fantasy en plus ! Mais j'ai mis La Zone du dehors sur *ma liste à voir avant d'acheter*.
RépondreEffacerExcellent commentaire, je peux aller me rhabiller !
En fait, l'étiquette Fantasy est plutôt floue, presque inexacte, ici, mais je ne trouve rien de plus précis.
RépondreEffacerComme tu vas le voir si tu lis certaines de mes critiques dans Brins 26, je ne suis pas un grand fan de ce que je nomme la fantasy générique, ou classique. On est vraiment pas dans ce domaine avec La Horde du Contrevent.
Et quant à la heavy-tude du roman, bah, c'est un peu propre à chacun. Moi j'aime bien les narrations complexes, les romans touffus, limites impénétrables...