La pire lettre de refus possible
Le double poste d'éditeur et de directeur littéraire de Brins d'éternité me permet d'apprendre beaucoup sur l'écriture et l'édition. À force de lire les textes des autres et de tenter d'y déceler les maladresses, j'en viens (parfois) à devenir un peu plus critique et objectif par rapport à ma propre, quoique rare, production.
J'apprends aussi des choses moi-même, sur mon caractère, sur ce que je devrais retravailler. Le tact et la diplomatie font partie de ces qualités que je m'efforce de développer dans le cadre de mes communications "officielles" et parfois sensibles pour le fanzine (lire ici: "les lettres de refus").
Ce n'est pas toujours évident de faire comprendre à un auteur que son texte n'est pas assez au point pour être publié dans une revue amateure sans qu'il décide de se pendre ou, pire, de calomnier Brins d'éternité. Il faut y aller tout en douceur, alors, pour que la pilule passe.
Dans certains cas, la recherche de la tournure de phrase la moins blessante et la plus critiquement constructive est si ardue qu'il me vient l'envie d'oublier la diplomatie quelques instants et de me défouler, quitte à décupler les défauts du texte et à être carrément méchant. Voici donc une de ces lettres fantasmées, qui ne s'adresse bien entendu à aucun auteur en particulier. (Ne vous sentez pas visés, auteurs qui avez essuyé un ou plusieurs refus: ceci n'est, finalement, qu'un exercice de style.)
Bonjour, Monsieur X,
Nous avons, malheureusement, lu votre nouvelle [Titre].
J'ignore si c'est votre totale incompréhension des règles de base de la langue française, votre risible incapacité à mener une intrigue convenablement ou encore la simple mais extrême pauvreté de la psychologie de vos personnages qui m'incite à refuser votre texte. Peut-être aussi est-ce parce que la lecture de [Titre] s'est avéré être un véritable calvaire: en effet, le début de votre nouvelle, tout comme la fin, souffre d'interminables longueurs, de répétitions et des plus abominables maladresses stylistiques, défauts qui s'appliquent aussi, finalement, au milieu de votre texte.
Je sais qu'il n'est pas aussi plaisant de lire une lettre de refus que d'en écrire une, mais ne désespérez pas: à votre mort, votre corps se décomposera et participera ainsi au bon fonctionnement de l'écologie de la planète, et ce malgré votre indéniable et flagrant manque de talent littéraire.
En étant heureux de ne pas être vous,
Signé: l'effroyable directeur littéraire.
enfin pu de rose!!!!
RépondreEffacerSalut Guillaume!
RépondreEffacerBien que ta pire lettre de refus m'a fait sourire, elle a aussi éveillé en moi le souvenir d'une lettre de refus qui a bien failli mettre un terme à mon rêve d'écrivaine. Eh oui. À l'époque, j'avais envoyé un manuscrit de 135 pages à 5 maisons d'édition. Des maisons que je respectais et dont je lisais régulièrement leurs parutions.
Parmi les lettres de refus que j'ai reçues, il en a une qui m'a bouleversée plus que les autres. Le ton était loin d'être amical. D'ailleurs pourquoi le serait-il? Je n'avais pas envoyé un bouquet de fleurs à un copain, mais un futur roman! Un manuscrit dont j'avais travaillé et retravaillé avec beaucoup de rigueur (il me semble). L'éditeur était loin d'être du même avis ;o).
Bref, j'y avais mis tout mon coeur. Et il fut brisé à la lecture de cette fameuse lettre de refus. Parce que j'avais l'impression que je lui avais fait perdre un temps précieux et, aussi étrange que cela puisse paraître, j'avais l'intuition qu'il se défoulait en me lançant au visage toutes les phrases qui, de toute évidence, souffrait de maladresse linguiste ;-) En fait, la lettre contenant 2 pages.
Je me suis raisonnée, en me disant qu'un éditeur qui se donnait la peine d'écrire deux pages, en relevant les perles qui émaillaient mon texte, n'avait pas perdu tout son bon sens. Y a des limites au défoulement ;o) !!! Quand même!
Y a ti un côté positif? Bien sûr. La lettre se terminait sur une phrase (lapidaire, mais ô combien formatrice!). Prendre l'habitude de me servir d'un dictionnaire usuel au lieu d'un dictionnaire des synonymes. Hiiii! J'ai compris!
Parmi les autres lettres de refus, il y avait une qui contenait à peu près les mêmes critiques, mais la formule était plus délicate. Plus diplomate. Chacun sa personnalité.
Aujourd'hui, lorsque je croise cet éditeur, j'aimerais bien le remercier (j'ose pas, chu trop gênée). Même si cette lettre a laissé un goût amer dans mes souvenirs. Parce que je me demande encore pourquoi m'a-t-il écrit tout ça. Pour me dire de m'améliorer? Ou pour me décourager?
Sahila : ouais, je suis 100% vert.
RépondreEffacerAnne : on m'a déjà dit qu'en général, plus une lettre de refus est longue, plus c'est bon signe (suivant, effectivement, le raisonnement qu'un éditeur ne perdrait pas son temps à surcommenter un texte qui n'a aucun potentiel).
Bon, je ne suis pas un éditeur professionnel, loin de là, mais quand je refuse une nouvelle, j'essaie d'expliquer à l'auteur pourquoi le texte est refusé. Ça implique donc, par la force des choses, de faire ressortir les points négatifs du texte et de les présenter de façon synthétique. Et parfois, c'est long à écrire, ça prend beaucoup de mots pour que ce soit clair.
Mais il y a une différence entre souligner les maladresses d'un auteur et les lui mettre dans la face : c'est là qu'entre en jeu la diplomatie. Ça peut être dans la façon de dire les choses pour qu'elle passent mieux, ou encore ressortir aussi ce qui fonctionne dans la nouvelle. Après tout, le but de l'exercice est d'inciter l'auteur à retravailler son texte (ou à écrire un autre texte, mais meilleur que le précédent).
Le problème survient, dans mon cas personnel, quand je reçois trop de textes qui ne fonctionnent pas en même temps. J'ai l'impression de patauger dans les lettres de refus, et je crois que ça me rend un peu aggressif. J'apprends à me connaître, par contre, et à savoir quand arrêter de travailler. J'ai envoyé quelques lettres de refus un peu méchantes, dans le passé, et je le regrette. Personne n'en a profité, ni l'auteur ni moi, et bien entendu je me suis coupé d'un ou deux auteurs qui auraient pu contribuer au projet de Brins d'éternité...
Bon matin, Guillaume!
RépondreEffacerÀ la lueur de tes propos, je me rends compte qu'une lettre de refus est aussi difficile à lire qu'à écrire ;o)
Mais on y gagne toujours au bout du compte, du moins pour l'auteur.
Pour ma part, j'ai toujours considéré qu'une lettre de refus n'était pas une fin en-soi, mais une belle façon de se lancer un nouveau défi. Poursuivre! Sans se laisser décourager.Et peaufiner là où ça cloche!
D'ailleurs, quel auteur n'a jamais reçu dans sa carrière d'écrivain une lettre de refus? Steven King n'en fut pas épargné. Oh que non! La preuve : il les collectionnait en les superposant sur un clou fixé au mur. Lorsque le clou était bourré de lettres de refus, il plantait un autre clou, juste à côté.
Est-ce que ceci l'a empêché de devenir célèbre?
Anne J.
Au contraire, c'est probablement justement cette attitude qui lui a permis d'atteindre la célébrité :)
RépondreEffacerAutre moralité encourageante : s'il y a de mauvais auteurs, il faut garder à l'esprit qu'il y a aussi de mauvais lecteurs.
RépondreEffacerEt de mauvais éditeurs. Et de mauvais libraires. En fait, c'est la médiocrité qui fait rouler l'économie, rien de moins.
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