Le quinzième numéro de Clair/Obscur s’ouvre avec un dossier spécial sur l’horreur événementielle. On y présente tour à tour, sur une douzaine de pages, six organisations œuvrant dans ce domaine au Québec. Si l’intention est louable, j’ai cependant trouvé que le dossier manquait un peu de consistance, et ne fait qu’effleurer le sujet. Il n’y a pas de réflexion de fond sur le phénomène, ni d’entrevue, ce qui aurait permis d’explorer la question un peu plus en profondeur. Tout de même, je suppose que plusieurs lecteurs, comme moi, auront saisi l’occasion pour découvrir plusieurs projets aussi intrigants qu’intéressants. Point positif, côté mise en page : l’appartenance des articles au dossier est clairement indiquée, ce qui facilite la lecture.
Vient ensuite la chronique « Dans la bibliothèque de... », portant sur Marilou Addison. Le concept de la chronique, qui revient depuis quelques numéros déjà, est intéressant, mais son exécution laisse à désirer et manque cruellement de rigueur. L’article, par exemple, ne donne pas, ou beaucoup trop peu, de contexte à l’information qu’il présente. Ainsi, un lecteur qui ne connaît pas du tout l’auteur Michel Zévaco ne gagne rien à apprendre qu’Addison en a été une grande lectrice. On peut probablement expliquer ce genre de manquement à la restriction d’espace, mais tout de même.
Du côté des fictions, le numéro nous offre une sélection de textes variés et à qualité variable, comme c’est souvent le cas dans les périodiques.
« Popobawa », de Marie Vandelannoote, raconte l’histoire d’Erika, une jeune femme terrorisée à l’idée de passer une nuit seule, chez elle, à la merci d’une entité mystérieuse, à qui la nouvelle doit son titre. Le récit effectue plusieurs bonds temporels pour présenter les origines juvéniles de la peur qui accable le personnage, permettant ainsi de brosser un tableau émouvant, mais peu nuancé, de la détresse d’Érika. Malgré un style parfois malhabile, la nouvelle se lit bien, jusqu’à une finale décevante qui n’apporte que peu au texte et qui relève du cliché. Au final, on en apprend très peu sur Popobawa. On ne sait jamais pourquoi cette créature chasse ses proies si lentement, pourquoi elle s’acharne sur Érika en particulier, et pourquoi elle porte un nom aussi ridicule.
Pierre-Luc Lafrance propose ensuite « La thérapie », une nouvelle fantastique mettant en scène un psychologue antipathique qui se fait raconter une histoire particulière par un de ses clients. Le texte est ponctué des réflexions désobligeantes du narrateur, provoquant parfois un effet humoristique (malheureusement pas toujours réussi). La progression vers le dévoilement de l’élément fantastique se fait sans heurts, et la nouvelle se termine sur une fin ouverte qui complémente bien le reste du récit. Mon gros point négatif est que le titre, en plus d’être fade, ne représente pas vraiment le texte.
« Lorsque la nature donne, elle reprend » de Yves Bergeron est une courte nouvelle présentant une histoire particulièrement banale : un homme, au volant de sa voiture, écrase un corbeau, et… c’est tout. La prose se veut poétique, mais s’avère surtout lourde et alambiquée. La notice de l’auteur mentionne qu’il s’agit d’un de ses premiers textes, ce qui est malheureusement plutôt apparent.
Isabelle Lauzon poursuit les fictions avec « Lorsqu’ils s’éveillent », un autre texte plus poétique que narratif, dans lequel une femme récupère des cocons (ou bien des cercueils?) d’une rivière pour en libérer les occupants. L’atmosphère glauque est très réussie. L’univers esquissé par la nouvelle est intrigant, mais ultimement incompréhensible, en raison des trop rares informations que fournit le texte.
Alamo St-Jean signe « La Kèr », une nouvelle fantastique racontant l’histoire de Max, un homme devenu alcoolique depuis que sa copine a été assassinée dans des circonstances mystérieuses. Lorsqu’il se voit offrir la possibilité d’apprendre ce qui s’est réellement passé, il accepte, sans savoir dans quoi il s’embarque… La nouvelle, qui suit un format extrêmement classique, présente plusieurs images très fortes et réussies. Cependant, dans son ensemble, le récit ne fonctionne pas vraiment, avec plusieurs péripéties beaucoup trop naïves et un retournement final qui ne repose sur rien.
Le numéro passe ensuite aux chroniques (arts visuels, jeux vidéo, littérature), puis aux critiques avant de se clore sur la courte bande dessinée de Simon Morin, qui parvient à raconter une histoire d’horreur efficace en trois petites pages.
Je me dois aussi de mentionner la couverture (lovecraftienne?) du numéro, réalisée par Érick Lefebvre. Clair/Obscur consolide lentement mais sûrement un style visuel qui lui est propre, ce qui ne peut qu’être une bonne chose.
Voilà donc pour la dernière offrande de Clair/Obscur. Un numéro intéressant, qui m’a toutefois semblé légèrement inférieur aux précédents.
Critique parue dans Brins d'éternité #43