Ne cherchez pas le lien trop longtemps: à ce que je sache, l'écrivaine n'a jamais touché à la science-fiction. Elle a oeuvré dans la littérature de genre, mais dans le domaine du polar.
Je ne suis pas un lecteur de Highsmith, mais j'ai quand même lu son Art du suspense récemment, pour un cours de maîtrise (ce n'était pas une lecture obligatoire). Dans le dernier chapitre, l'auteur discute sur le suspense en tant que genre littéraire, en opposition, notamment, avec la littérature dite générale. "En règle générale, il est vrai que les critiques aux États-Unis consident le roman policier comme un genre mineur, bien inférieur au roman traditionnel, dont on suppose d'emblée qu'il a plus de profondeur, d'importance et de valeur parce que c'est un véritable roman et que l'autre a priori a pris au sérieux ce qu'il écrit." (p. 208) Évidemment, ce passage m'interpelle : il suffit de remplacer "policier" par "de science-fiction"...
Je suis moins d'accord, cependant, avec la solution qu'elle propose pour rapprocher la littérature de genre de la générale : tout miser sur l'histoire. "C'est l'histoire qui fait la valeur durable d'un livre. Les moeurs et le comportement ont beau changer au cours des décennies, les scénaristes de cinéma et de télévision n'en finissent pas d'exploiter Henry James, parce qu'il a toujours raconté une bonne histoire." (p. 214)
Premièrement, je doute que les canons de la télévision et du cinéma en matière de scénario soient des repères particulièrement fiables pour juger de la qualité d'une histoire. D'une autre côté, oui, une histoire forte, puissante, évocatrice aura plus de chance d'être adaptée au petit ou grand écran qu'une autre, plus tiède, sans toutefois être tout à fait mauvaise. Mais une histoire très évocatrice est-elle automatiquement une bonne histoire, indépendamment de la façon dont elle est racontée?
Ensuite, je ne suis pas un grand lecteur de James, je ne connais que son Tour d'écrou. Mais justement, est-ce vraiment l'histoire de ce court roman qui en fait un classique, ou n'est-ce pas plutôt l'écriture, le style que l'auteur a déployé pour instaurer une atmosphère d'oppression et d'indétermination?
Je ne dis pas que l'histoire est superflue, que seul le style compte. La construction d'une intrigue est un art noble et difficile, tout comme l'est la représentation de personnages crédibles et vivants. Il faut rajouter à ça, dans le domaine de la SF, la création d'un univers, l'invention de concepts fondamentaux qui modifiront d'une façon fondamentale et structurante l'intrigue d'un texte ainsi que la psychologie de ses personnages.
Pour moi, autant en SF qu'en littérature générale, il faut davantage qu'une bonne histoire pour faire un bon roman : la qualité de l'écriture doit être au rendez-vous. De plus, idéalement, il faut davantage qu'une plume de qualité (une grammaire correcte, une syntaxe impeccable), il faut un style, une originalité, qui peut se présenter de plusieurs façon. Certains rechercheront une (ou des) émotion(s), une voix particulière, une étincelle littéraire, comme une parcelle de l'auteur traduite en mots. Personnellement, je m'intéresse à des choses plus cérébrales, comme des structures narratives particulières (j'ai bien hâte de lire La Horde du Contrevent d'Alain Damasio, d'ailleurs). Dans les deux cas, on peut difficile rapporter ces éléments directement à l'histoire. Il s'agit plutôt de la façon dont elle est racontée. Le style n'est pas uniquement une question de belles tournures de phrases, de métaphores profondes ou autres fioritures: c'est une prise de position par rapport à l'écriture et au statut de raconteur, fondamentale, inévitable, et les conséquences de cette prise de position façonnent, d'une manière ou d'une autre, tout texte littéraire.
Je ne sais pas si, du point de vue de la qualité, il y a véritablement un gouffre qui sépare la littérature de science-fiction de la littérature générale (ou Grande Littérature, avec de grosses majuscules). J'ai plutôt l'impression que ce n'est pas le cas, qu'il y a des navets et des chefs d'oeuvres des deux côtés.
En fait, je ne veux pas vraiment établir de distinction SF/mainstream. Je perçois plutôt les deux entreprises comme des façons différentes et complémentaires de voir et de pratiquer la littérature. L'idée d'imposer une hiérarchie de valeur entre les deux me semble absurde et relever soit de la complète perte de temps, soit d'un certain snobisme.