Benoit arrive dans une grande ville pour y mener des études en cinéma. Comme il vient de rompre avec sa copine (avec qui il devait partager un logement) et que sa situation financière est plutôt précaire, il doit rapidement se trouver un loyer modique. La chance lui sourit lorsqu’il rencontre Mini, une artiste excentrique d’origine malaisienne, qui lui propose d’habiter dans une Westfalia remisée dans un garage. Rapidement, une idylle se développe entre les deux personnages. Comme Mini s’apprête à partir dans un voyage en Malaisie, Benoit décide de participer à un essai clinique d’AlphaLab afin d’amasser les fonds pour accompagner sa douce moitié. Les effets de la drogue qu’on injecte à Benoit se font rapidement sentir : il devient plus agressif et peine à contenir sa soif de sang. Les cadavres s’accumulent autour de l’étudiant, alors que ce dernier tente de canaliser ses pulsions pour protéger Mini.
Carl Rocheleau nous livre un roman particulièrement bien construit, soutenu par des personnages forts, une intrigue bien ficelée et une plume maîtrisée. L’inéluctable déchéance du personnage est très bien articulée : elle est d’abord représentée par des extraits de scénarios que Benoit rédige, un peu comme un journal intime romancé. Ça fonctionne, parce que le récit introduit ces passages très rapidement, bien avant l’injection, et que ces extraits donnent au lecteur un point de vue privilégié sur la psyché du personnage. Quand Benoit passe finalement à l’acte, la transition se fait de façon fluide et cohérente. Sa passion pour le cinéma, et particulièrement pour les films de Quentin Tarantino, sert aussi de tremplin aux scènes de violence plus intenses qu’on retrouve à la fin du roman. J’ai aussi beaucoup apprécié le fait que Benoit s’imagine être hanté par les fantômes de ses victimes, qui ne se gênent pas de l’insulter. Cela confère une tension efficace à certaines scènes qui seraient autrement plutôt banales. Ces fantômes servent aussi à soutenir, à souligner la progression de l’intensité dramatique dans le roman : chaque meurtre affecte le personnage de façon durable.
Petit point négatif (à propos du dernier quart du récit — à ne pas lire si vous ne voulez pas vous faire gâcher la surprise) : l’évolution du personnage de Mini n’est pas vraiment crédible. Benoit cherche d’abord à garder ses pulsions meurtrières secrètes, et s’inquiète que sa copine le rejette si elle apprenait les horreurs qu’il ne peut s’empêcher de commettre. C’est un bon générateur de tension, et c’est tout à fait réaliste. Mais voilà, Mini tombe sur son cahier de scénarios, comprend qu’il ne s’agit pas seulement de fictions, et… Elle est tout à fait à l’aise avec ça, allant même jusqu’à l’encourager dans ses actes déviants. Mmm. J’ai décroché un peu en lisant ça.
Mais autrement, Benoit est un très bon roman dramatique bien sanglant, qui réussit avec brio une escalade dans l’horreur et la violence. On en voudrait davantage.
Critique parue dans Brins d'éternité 42