Cobayes – Anita, par Marilou Addison
Cobayes est une série de sept romans écrits par autant d’auteurs différents. Les personnages de chaque livre participent à la même étude clinique, avec, pour chacun, des effets secondaires différents.
Anita est obsédée par son poids. Fervente boulimique, elle multiplie les astuces pour perdre les quelques livres qui la séparent de son objectif, malgré l’inquiétude de sa famille et de Manu, son copain. Alors qu’elle lui promet de consulter un psychologue pour gérer son trouble de comportement alimentaire, elle décide plutôt de participer à une mystérieuse étude clinique de la compagnie AlphaLab, puisqu’un des effets secondaires possibles est une perte de poids. Les injections qu’elle reçoit ne modifient pas sa taille, mais affectent radicalement sa personnalité et son comportement. Chaque inoculation la rend plus agressive, mais aussi plus affamée...
Avant de parler du roman de Marilou Addison, quelques mots sur la série. D’abord, si le concept général, à savoir sept romans qui partagent la même chronologie et dont les personnages se croisent, me paraît intrigant, je ne suis pas encore convaincu de la richesse de l’effet littéraire qui en résulte. Évidemment, peut-être que ça deviendra plus intéressant après quelques livres, lorsque je pourrai commencer à comprendre ce que signifient les clins d’œil et les allusions qui traversent le roman. Mais pour l’instant, j’ai l’impression qu’on me raconte des anecdotes plutôt impertinentes à propos de personnes que je ne connais pas. Et j’avoue être vaguement inquiet de la façon dont les auteurs vont boucler la boucle, au final. En effet, on peut lire, dans les dernières pages du roman, qu’un chapitre final sera disponible sur le site de l’éditeur après la parution du septième et dernier tome de la série. C’est très bien, très original, mais... Un chapitre, c’est bien peu, pour conclure sept romans. Mais bon, on verra, comme dit le mari de l’autre.
Cela dit, comme les romans de Cobayes sont faits pour être appréciés indépendamment, le reste de ma critique ne portera plus sur la dimension intertextuelle de la série.
Marilou Addison livre avec Anita un roman gore (mais pas trop... ou pas assez?) qui suit la descente aux enfers du personnage éponyme, alors que les effets de la drogue qu’elle reçoit d’AlphaLab la poussent dans des situations extrêmes. Le concept est intéressant, le contraste entre Anita au début du récit et ce qu’elle devient à la fin est saisissant, mais j’ai senti, en fermant le livre, que forcément, quelque part, des occasions avaient été manquées. Oui, il y a des meurtres, du sang à profusion, du cannibalisme même, mais... Il manque un petit quelque chose pour que ça devienne véritablement de l’horreur, pour que le récit d’Anita prenne une dimension un peu plus dramatique. À mon avis, un des problèmes du roman est que le personnage n’est jamais (pas une seule fois!) confronté aux conséquences de ses actes. Anita commet ses meurtres lors d’épisodes psychotiques dont elle ne conserve aucun souvenir. Elle n’a pas conscience de la sinistre provenance de la viande qu’elle consomme à la fin du récit. Quand la situation d’Anita atteint un paroxysme et que les événements deviennent vraiment intenses, le récit se termine sur l’effondrement mental de la protagoniste. On dirait que plutôt que d’essayer de représenter l’horreur de la situation de manière évocatrice, le roman jette l’éponge exactement au moment où l’histoire devenait intéressante. C’est plutôt frustrant.
Sinon, les quelques passages de violence et de gore sont globalement bien conçus et bien rendus, même s’il y a quelques ratés en raison d’un vocabulaire approximatif. Par exemple, l’utilisation du terme « gorgoton » lors d’un épisode de dévoration phallique confère une dimension absurde, voire comique, à une scène se voulant sérieuse et dramatique. Ça ne fonctionne pas, mais pas du tout.
Cela m’amène à parler de la plume de l’auteure, qui se caractérise par un ton juvénile et une surenchère de la ponctuation (« ?!? »), ce qui provoque un effet de dissonance par rapport au sujet résolument sombre du roman. Disons simplement que c’est un choix esthétique qui me semble peu judicieux.
C’est dans la description de l’évolution de l’état mental d’Anita que le roman réussit le mieux. Fait intéressant, le personnage est antipathique, mesquin et menteur dès le début de l’histoire : ce n’est pas l’effet secondaire de quelque produit chimique qui la rend désagréable, c’est sa véritable personnalité. Le roman établit cela très tôt et de manière tout à fait crédible. Par la suite, les déboires d’Anita la rendent un peu plus sympathique, par la dimension pathétique de son histoire.
Au final, Anita est un roman qui, bien qu’intéressant, comporte de sérieux défauts et ne me semble pas exploiter son plein potentiel.
Critique parue dans Brins d'éternité 40