4/25/2011

Luna (tomes 1 à 5), par Élodie Tirel

Tome 1 : La cité maudite, 265 p., 2009.
Tome 2 : La vengeance des elfes noirs, 290 p., 2009.
Tome 3 : Le combat des dieux, 298 p., 2009.
Tome 4 : La dernière dragonne, 311 p., 2009.
Tome 5 : La fleur de sang, 316 p., 2010.

Éditions Michel Quintin


Luna est une jeune elfe de lune qui a été élevée par une meute de loups, au milieu de la forêt. Heureusement, le Marécageux, un vieil elfe sylvestre qui a choisi de vivre en ermite et qui habite non loin de la tanière, lui a appris à parler le commun. Son enfance idyllique, cependant, connaît une fin brutale quand toute sa meute, à l'exception d'Elbion, loup qu'elle considère comme son frère, est exterminée par une patrouille de guerrières drows. Une série de circonstances fâcheuses la force à s'aventurer jusque dans les profondeurs de Rhasgarrok, la cité des elfes noirs, adorateurs de Lloth, la déesse araignée. Luna y fera la rencontre de Darkhan, qui est mi-drow, mi-elfe de lune, et l'aidera à accomplir sa mission.

Bon, j'imagine que la seule lecture du résumé de l'histoire du premier tome en aura fait tiquer plus d'un. Des drows? Lloth, la déesse araignée? Parler le commun? Tout à fait, directement repris des Royaumes Oubliés (et, par extension, de Donjons et Dragons). Les correspondances abondent: les elfes noirs vivent sous terre (évidemment), dans une société matriarcale (comment pourrait-il en être autrement?), organisée en maisons (c'est dans l'ordre des choses!). Tous les elfes de la lune sont aussi dotés d'infravision (capacité de voir dans le noir). C'est tout juste si l'auteure ne cite pas des passages du Manuel du Joueur. Et clairement, les références sont voulues et assumées par l'auteur: on trouve un personnage secondaire nommé Fritzz Vo'Arden...

Mais qu'est-ce qui peut bien justifier l'écriture d'une saga de fantasy dans un univers à ce point banal et classique? Oui, je sais, c'est de la littérature jeunesse, et les jeunes, justement, n'iront pas nécessairement lire les romans de Salvatore et ne connaîtront pas la mythologie propre à AD&D. Mais tout de même, où est l'intérêt de mettre en place un univers qui se restreint autant au modèle populaire?

À mesure qu'on avance dans la série, l'auteure semble prendre plus de libertés dans les lieux qu'elle présente, les races qu'elle invente (à moins que ce soit ma connaissance du bestiaire monstrueux qui soit lacunaire?). Mais les intrigues demeurent souvent fort simples et prévisibles. En fait, dans presque tous les tomes (à l'exception du dernier, qui se libère de cette logique), au moins une trame narrative se résume ainsi: un personnage pénètre, volontairement ou non, dans Rhasgarrok, s'y fait prendre prisonnier par les méchants elfes noirs, trouve une façon de s'enfuir et de mener à bien sa quête. Il y a quelques variations, évidemment, mais l'essentiel y est. Ajoutons à cela quelques rencontres avec des divinités, des dragons, une légendaire race d'elfes ailés, une forêt enchantée, des méchants vampires, des gentils loups-garous, une poignée de prophéties et le fait que la presque totalité des personnages sont, d'une façon ou d'une autre, de sang noble (à croire que c'est une maladie contagieuse), et on obtient un bon portrait de la série.

Mais donnons à l'auteure ce qui lui revient: sa plume est agréable. Elle parvient à rendre tout à fait lisibles des histoires et des scènes qui tiennent parfois du cliché le plus éculé. Tout n'est pas parfait, par contre: je note, surtout dans le premier tome, une surabondance de jurons plutôt hors du commun (sans vouloir faire de mauvais jeux de mots), mon préféré étant probablement «par le Gland Sacré». Ce serait drôle si ça ne revenait pas systématiquement dans le parler de Luna...

On saluera aussi certains passages plus sombres, violents et sanglants que ce à quoi on s'attendrait d'un roman jeunesse contemporain. Ce n'est pas nécessairement un gage de réussite, mais ça démontre une certaine ouverture de l'auteure. Ne reste plus qu'à espérer que, quand elle aura bouclé cette série (j'ignore combien de tomes sont encore à prévoir), elle s'attaquera à quelque chose de plus original et personnel.

(Critique parue dans Brins d'éternité 26. Deux autres tomes sont parus depuis, que je n'ai pas eu l'occasion (ni vraiment l'envie) de lire.)

7 commentaires:

  1. Ah, il me semblait bien avoir déjà lu cette critique quelque part. :)
    Tu as du courage d'en avoir lu 5. Je ne pense pas que j'aurais été capable de passer par-dessus le plagiat éhonté, peu importe la qualité du récit...

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  2. En fait, c'est à se demander comment il se fait que Wizards of the Coast ne la poursuit pas?

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  3. En fait, Guillaume, tu as mis le doigt sur un facteur cardinal dans le raz-de-marée de fantastique et de fantasy qui déferle sur notre littérature jeunesse depuis dix ans. C'est que les éditeurs/trices ne connaissent pas ces genres. Je suis sûr que chez Quintin, on a cru que tout ça était fort original et richement imaginé. Idem pour à peu près tous les éditeurs qui ont décidé d'embarquer dans ce fabuleux train en marche. Qu'il s'agisse d'œuvres de SF inspirées/copiées des animés japonais, d'œuvres fantastiques vampiriques, œuvres de fantasy directement transcrites des jeux de rôles, ni le jeune public (ayant accédé à la lecture à l'âge où leurs grands frères se lassaient des RPG), ni les éditeurs (adultes dans la quarantaine ou la cinquantaine) ne connaissent le matériau d'origine.
    Pas plus qu'ils n'ont le sens critique nécessaire pour évaluer si, dans ces genres, un scénario et des personnages sont originaux ou convenus.
    La série «Luna» en est un exemple, mais on pourrait en citer vingt autres...
    Et, Vincent, Wizards of the Coast ne poursuit pas parce qu'évidemment ils ne connaissent pas la production des éditeurs québécois francophones, d'une envergure dérisoire sur le marché mondial. Ça ne fait même pas l'ombre d'un point sur leur écran radar.

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  4. Daniel soulève un point intéressant.

    De mémoire, pour le comité de lecture de Brins, j'ai lu 1 ou 2 nouvelles de fantasy "librement" inspiré des jeux de rôle classiques.

    Bref, refus instantanné.

    C'est à croire que les auteurs ne se prélassent même pas d'être original de nos jours, mais comme l'a dit Daniel, soit ils ne connaissent rien de ce qui s'est fait avant eux, soit les éditeurs n'y connaissent rien et n'y voit que du feu (parce que la fantasy ça se vend no matter what...).

    Heureusement qu'on à Yves, Joël, Héloïse, pour n'en nommer que quelques-uns pour soutenir une bonne fantasy québécoise!!

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  5. @Daniel: Oui, je me disais bien que l'unique raison pour expliquer qu'il n'y ait pas de poursuite devait être la visibilité (ou plutôt l'absence de visibilité) de l'oeuvre...

    Ça me scie les jambes de constater qu'un auteur puisse faire un tel plagiat. Je suis renseigné (très rapidement: wiki) sur l'auteure et je vois qu'elle a gagné un prix pour son oeuvre précédente. Maintenant que l'on sait qu'elle se laisse aller à plagier pour écrire sa série, ça jette un doute sérieux sur l'originalité de sa première oeuvre. En fait, tant qu'à moi ça remet en question l'ensemble de son oeuvre. Sa crédibilité est détruite­. Même si sa première oeuvre est bien d'elle-même, il y aura toujours quelqu'un pour en douter.

    Dire que l'auteure compte sortir un total de 12 tomes pour cette série... Pathétique...

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  6. Daniel : Je suis bien conscient que le phénomène est très répandu, ce qui est d'autant plus affligeant.

    Vincent : J'ai l'impression que 12, c'est le nouveau nombre magique pour les séries de fantasy (jeunesse, disons). Avant c'était trois, on ne pouvait PAS écrire un roman de fantasy sans en faire deux autres par la suite. Maintenant, eh.

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  7. @Guillaume: 12, c'est vraiment interminable...

    Hum, je ne suis plus certain où j'avais vu ce gag (il me semble que c'était dans Monkey Island 2), dans une bibliothèque on pouvait trouver une série de livres ayant les titres: "Pourquoi ne pas écrire de trilogie", "Ce qu'il y a de mal avec les trilogies" et "Pour en finir avec les trilogies".

    Ça m'avait bien fait rire de voir une trilogie anti-trilogie: il faut vraiment que ce soit un mal répandu...

    (Ok, ok, je viens de scorer un peu trop haut sur l'échelle des geeks...)

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