Cobayes - Yannick, par Martin Dubé
Yannick est un bon gars. Il a tendance à aider les autres, même si c’est à son détriment. Ainsi, quand il apprend que sa sœur, Myriam, a d’urgents besoins financiers, il décide de lui donner un coup de main en s’inscrivant à une étude clinique organisée par AlphaLab, pour se faire un peu d’argent. La substance qu’on lui injecte modifie son comportement : Yannick devient plus froid, plus égoïste, mais en même temps plus confiant, plus fonceur. Il se surprend aussi à avoir des fantasmes de violence qui ne lui ressemblent pas. Yannick, confus, tente tant bien que mal de retrouver son identité, sous la surveillance constante du mystérieux Nettoyeur, un employé d’AlphaLab qui le suit à la trace.
Avant de parler du roman de Martin Dubé, j’aimerais mentionner quelque chose que j’ai oublié de soulever dans mes deux critiques précédentes (1, 2) : j’adore le visuel des couvertures de la série Cobayes. Yannick ne fait pas exception, avec ce cœur sanguinolent reposant dans une main ouverte (et en plus, le personnage a, lui aussi, le cœur sur la main. Allez, avouez que c’est mignon).
Je suis un peu moins emballé par l’intérieur du livre, cependant. Le principal défaut que je reproche au roman est que le narrateur raconte des blagues. Constamment. Du début à la fin. Avant, pendant, après l’injection. Et, malheureusement, c’est fait de façon malhabile et forcée, rarement vraiment drôle, à travers un incessant flot d’anecdotes qui n’ont aucun rapport avec le récit et qui ne dressent pas, la plupart du temps, un portrait cohérent et consistant des personnages. L’auteur dit, dans sa présentation, avoir voulu créer un « suspense où le drame côtoie l’absurde ». Sans prétendre que c’est un projet voué à l’échec (je pars du principe que tout est possible en littérature), je constate que le roman n’est pas non plus une réussite. Comme je l’ai mentionné, sa dimension absurde laisse plutôt tiède. Mais qu’en est-il du suspense et du drame?
Pour le dire crûment : il ne se passe presque rien dans le récit. Tout au long de l’histoire (à partir du moment de la première injection), Yannick réprime les pulsions violentes qui l’habitent, se forçant à être encore plus gentil que d’habitude, et… c’est tout. Il y a bien quelques accidents de parcours, et une certaine tension induite par la présence inquiétante du Nettoyeur, de même qu’une réflexion intéressante sur la nature de l’Homme (peut-on contrôler ce qu’on est, peut-on dompter le mal?), mais il n’y a pas vraiment d’événements romanesques marquants, seulement une succession de scènes plus ou moins pertinentes où Yannick n’est jamais en danger. Dois-je rappeler qu’il y a un cœur humain dégoulinant de sang sur la couverture du livre? Alors, où est-il, ce sang? Où sont les viscères?
En fait, oui, le roman contient des scènes de violence, des moments où Yannick s’adonne à la dépravation qui le dévore de l’intérieur. Mais ces scènes sont systématiquement des fantasmes, des rêves éveillés. Pire, ces fabulations sont toujours présentées comme si elles étaient réelles, avant que le narrateur ne revienne au présent et reprenne ses habitudes de bon gars. Je crois comprendre ce que le récit cherche à mettre en place, ici : brouiller la frontière entre le réel et le rêve, transposer dans la narration la perte de repères qu’éprouve Yannick. L’intention est louable, mais ce n’est pas fait de façon compétente, et le résultat est une structure narrative particulièrement bancale qui empeste l’amateurisme et, surtout, qui ne respecte pas le lecteur. C’est là, à mon sens, un péché littéraire capital. Cela dénote aussi une certaine paresse dans la construction de l’histoire : plutôt que d’explorer les conséquences funestes d’une action extrême, le roman encapsule l’acte déviant dans un rêve, qui peut être évacué dès qu’il a été présenté, sans que cela affecte d’aucune manière la suite des événements. Le roman ne sort jamais de la zone de confort établie par l’introduction. Ce statu quo continuel a comme effet que les personnages n’évoluent pas, ou presque, ou en tout cas pas de manière crédible.
(Avertissement : je dévoile la fin du roman dans ce paragraphe. Vous pouvez le sauter si vous ne voulez pas que je vous gâche la surprise). Dans le cas de Yannick, par exemple, la première partie de la finale nous le présente comme étant revenu à la normale : gentil, aimable, attentionné. Mais dans la seconde moitié de la fin, coup de théâtre : finalement, Yannick est vraiment devenu méchant et tue sa voisine. Ah bon? Quand le changement s’est-il produit? Certainement pas pendant, disons, tout le roman, où il résistait efficacement à ses pulsions. La transformation se produit donc quelque part entre le dernier chapitre et l’épilogue. C’est gratuit, pas du tout expliqué et complètement en contradiction avec tout ce qui précède. C’est particulièrement frustrant, et ça donne l’impression au lecteur qu’il a perdu son temps avec ce roman.
Je trouve ça très triste, tout ça, parce que Martin Dubé a quand même une bonne plume. Sauf que sa prose ne rachète pas les graves tares narratives du roman, ou encore le fait que son narrateur se complaise dans un humour déplacé et inefficace. Les rares passages où la narration est omnisciente, par exemple, sont mieux construits et beaucoup plus intéressants que le reste.
C’est malheureux, mais je ne peux pas recommander la lecture de Cobayes – Yannick, même aux fans de la série : le roman n’apporte strictement rien à l’histoire générale, et les références aux autres titres sont si subtiles qu’elles n’ont aucune substance. À éviter.
Critique parue dans Brins d'éternité 41
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